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obliquement dans le ciel, comme si l’astre du jour y eût laissé sa trace, fut bientôt tout ce qui resta de ces splendeurs. À mesure qu’une étoile s’allumait dans le firmament, une lueur pareille s’éveillait sur la mer endormie ; puis la lune se leva, sa douce clarté remplit le ciel, et tomba à la surface des ondes comme un long sillon d’argent. Alors les constellations s’éteignirent dans les cieux et sur l’azur des flots. Après une journée brûlante, l’air tiédissait enfin ; il y avait un charme indéfinissable répandu dans l’atmosphère, et, dans cette nuit des tropiques, si sereine, si transparente, l’on sentait passer comme des voix mystérieuses qui parlaient de Dieu.

Depuis quelques heures, l’une des esclaves du djellab se plaignait d’un violent mal de tête : c’était une enfant de dix ans au plus, frêle, chétive. Sa chevelure noire se séparait en deux larges nattes maintenues par un brin de soie jaune qui courait d’une tresse à l’autre comme un fil d’or ; ces deux nattes retombaient sur ses deux joues haves, creusées par une longue maladie. Elle portait au cou un collier de verroteries bleu de ciel, pauvre hochet dont le maître l’avait parée avant de la mettre en vente, à peu près comme les prêtres de l’antiquité païenne, avant de conduire la victime à l’autel, enveloppaient ses cornes d’une feuille d’or et ornaient sa tête de riches bandelettes et de guirlandes de fleurs. Son vêtement consistait en un morceau de toile grossière, déchiré en bien des endroits, à peine suffisant pour envelopper des membres que parcourait le frisson de la fièvre. Le djellab l’appelaif Dangouléh, nom abyssin de la fleur d’un magnifique chicus dont la corolle est protégée par de longues épines. Il y avait comme une cruelle ironie dans ce nom. De la brillante fleur de l’arbuste des montagnes à l’enfant flétrie par la faim, les mauvais traitemens et la maladie, il existait la différence du plaisir à la douleur, de l’espérance au morne désespoir. Les jeux des autres ne parvenaient jamais à la faire sourire ; souvent elle pleurait en silence, et il y avait dans le timbre de sa voix quelque chose d’indéfinissable qui faisait mal : on devinait la mort cachée derrière tant de jeunesse.

Ce soir-là, la petite esclave se plaignait donc plus que de coutume. La peur de l’inconnu, dont nous devenons la proie quand nous nous en allons de cette terre, la tint long-temps éveillée ; quelquefois elle sanglotait en appelant sa mère, et à ses compagnes, qui essayaient de la calmer, elle répondait : — Est-ce parce que je suis si jeune, que vous me dites que je ne dois pas mourir encore ? Les fruits du daro[1] ne tombent-ils donc jamais avant d’être mûrs ? ou le vent n’arrache-t-il aux rameaux des arbres que les feuilles qui ont vieilli ?

Pendant la nuit se leva une de ces folles brises, qui soufflent par

  1. Nom du sycomore en langue amharique.