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Pour nous, nous passâmes cette journée à terre. Quand nous entrâmes en chasse, une clarté douteuse commençait à peine à poindre à travers la brume, dernière trace de la tempête de la veille. À cette pâle lueur succéda une lumière rouge, et l’orbe solaire, masqué un instant par les hautes montagnes de l’Arabie, apparut enfin par une des dentelures de la crête ; puis ses rayons plus obliques effleurèrent chaque sommet, et y allumèrent comme une flamme, la masse de chaque piton demeurant encore plongée dans un milieu d’azur. Bientôt un torrent de lumière ruissela sur la déclivité de la chaîne et s’épandit sur la côte, sur la mer, sur l’île, dont chaque rocher participa à l’éblouissant éclat que le fluide céleste semait sur toutes choses. Alors les oiseaux endormis sur les grèves s’éveillèrent pour prendre leur vol et saluer de leurs cris de joie le lever de l’astre radieux. Les sambouks s’apprêtèrent à gagner le large ; de chacune des huttes du village s’échappa une fumée bleue qui montait vers le ciel avec les chansons des matelots et des centaines d’alouettes babillardes. Un peu plus tard, une bouffée de vent ridait les eaux de la rade, au fond desquelles un autre monde allait à son tour donner signe de vie. Deux requins, dont la nageoire dorsale déchirait la surface de la mer, chassaient devant eux un immense banc de poissons. À ce signal, des nuées d’oiseaux-pêcheurs accoururent avec de longs cris, fouettant de leurs ailes les petites ondes dont les courbes mouvantes parcouraient toute la crique. Traqué par les requins et par les oiseaux, le banc de poissons courait toujours, suivi de la légion vorace, et un long sillon d’écume fouillé par des milliers de becs, coupé à chaque instant par le vigoureux élan des squales, marqua au loin son passage.

Un peu au nord de la petite baie qui est le port actuel, entre deux promontoires couverts d’anciens tombeaux, à dix pas des ruines d’une bourgade détruite, s’ouvre une autre rade récemment abandonnée par la mer, dont le sol se prolonge sous les eaux par une pente si douce, que, presque sur tous les points, l’on peut s’avancer à plus d’un quart de lieue, sans avoir jamais de l’eau plus haut que le genou. Cette plage est habitée par de nombreuses tribus d’oiseaux, infatigables glaneurs qui se disputent les débris des corps marins abandonnés par le flot qui se retire. Des grèbes blancs et bleus courent, plongent, jouent et s’envolent pour revenir encore s’abattre sur la mer si calme ; des spatules barbottent dans la vase ; des pélicans naviguent en flottille et pêchent un fretin que des poissons plus grands chassent hors des eaux plus profondes. Plus loin, des flamans, debout sur leurs longues échasses, ont l’air, avec leurs ailes couleur de feu, d’un jet de flamme se mouvant à la surface de la mer. Nous allâmes choisir notre déjeuner dans cette volière du bon Dieu, et, ce qui était plus difficile, essayer de tirer quelques flamans. Il fallait s’approcher à une distance convenable