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de sa ruine : cette main fut celle du roi, qui, par une largesse de 200,000 francs, sauva la maison Audry de Puyraveau, Gallot et compagnie.

La situation de M. Laffitte offrait à la générosité du roi une occasion encore plus digne d’elle. Ici, par une rare exception, l’intérêt général se liait étroitement à l’intérêt privé. L’avenir d’un grand nombre d’établissemens financiers et commerciaux dépendait du sort que les événemens feraient à la maison Laffitte. Sa ruine eût été une nouvelle et grave atteinte au crédit public, une nouvelle calamité pour le commerce. La Banque de France avait long-temps accordé toute confiance au célèbre banquier, si puissant encore par le crédit en 1830. La révolution de juillet vint démontrer tout ce qu’il y avait eu de factice dans cette grande prospérité, et exposer au grand jour les plaies jusqu’alors ignorées de la maison Laffitte. La Banque de France, au milieu de ses inquiétudes et de ses embarras particuliers, dut renoncer à continuer les énormes avances qu’en dehors même des limites posées par ses statuts elle avait consenties à M. Laffitte. Pour sauver les débris de l’immense fiction qui s’écroulait, il fallait trouver dans les délais les plus restreints une somme de 10 millions en argent ou en engagemens à courtes échéances, et une garantie de 6 millions, en tout 16 millions. Demander une telle avance à la loi des 30 millions était chose impossible. La loi était applicable à l’universalité des négocians français ; un seul homme ne pouvait donc en usurper le bénéfice ; de plus, M. Laffitte était lui-même un des membres du gouvernement chargé de répartir sous sa responsabilité la somme allouée par les chambres.

En vain M. Laffitte cherchait à vendre ses belles propriétés de Maisons et de Breteuil ; les capitaux fuyaient effrayés par l’orage révolutionnaire, qui, de la France, commençait à se propager en Europe ; toute vente, même à vil prix, était impraticable.

Le roi n’hésita point à sauver M. Laffitte.

Malgré les embarras personnels qui allaient en résulter pour lui, malgré des frais d’actes estimés à près d’un million, malgré la dépréciation d’une propriété dont, à une époque des plus prospères, M. le comte Roy avait refusé de donner 5 millions et demi, le roi consentit à se rendre acquéreur de la forêt de Breteuil, et il en offrit tout d’abord un prix qu’on ne lui demandait pas, les 10 millions que M. Laffitte avait jugés indispensables à son salut. En même temps le roi accordait à M. Laffitte une garantie de 6 millions, moyennant laquelle la Banque consentit à proroger un prêt antérieur de pareille somme. Cette garantie devait se résoudre encore en nouveaux sacrifices pour le roi. Le temps empirait de plus en plus la situation de M. Laffitte, impuissant à remplir aucune des conditions qu’il avait souscrites par l’acte de prêt du mois d’octobre 1830. En 1832, la Banque de France, ne