Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/12

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

après deux années pendant lesquelles la politique tant intérieure qu’extérieure de ce pays a pu se préciser par des actes aussi nombreux que significatifs. Envisagée dans sa triple direction, — soit qu’elle intéresse les gouvernemens européens, soit, qu’elle s’applique aux questions fédérales ou aux affaires cantonales, — la politique de la Suisse depuis deux ans peut être considérée comme le développement de trois principes distincts : — le principe de neutralité vis-à-vis de l’Europe ; — le principe d’équilibre fédéral dans les questions intérieures d’intérêt général ; — enfin le principe de libéralisme conservateur dans les questions intérieures d’intérêt cantonal.

L’histoire de la fédération suisse est là pour nous prouver que cette triple direction de la politique helvétique a toujours été pour les cantons une garantie de force et de prospérité. Le principe de neutralité, par exemple, est, depuis le moyen-âge, la base même de l’existence de la Suisse au milieu des grands états qui l’entourent. Lorsque la première révolution française lui eut ôté cette base, la Suisse resta faible, déchirée et malheureuse. Aussi, quand par les traités de 1815 l’Europe fut reconstituée, s’empressa-t-on de rendre à la fédération le bénéfice de la neutralité. Les puissances limitrophes de la Suisse ne pouvaient que se montrer favorables à cette mesure : la neutralité d’un pays situé au centre de l’Europe, maître des plus importans passages des Alpes, était pour la France, l’Allemagne et l’Italie, un intérêt de premier ordre ; pour la Suisse, c’était plus encore : c’était une condition d’existence. Formée d’abord des débris de l’ancien empire germanique, la république helvétique s’est adjoint plus tard des élémens romano-celtiques, soit de langue française ; soit de langue italienne. Son effort et sa gloire, pendant plusieurs siècles, ont été d’unir ces élémens, de leur donner une empreinte particulière, de se créer enfin une nationalité distincte avec ces débris hétérogènes, et de ne composer qu’une seule famille avec ces nombreuses peuplades dont chacune a son individualité. Grace à la neutralité, cette tâche a été possible ; mais si jamais la Suisse prenait part aux luttes de ses voisins, qui pourrait dire ce qu’elle perdrait à placer ainsi en dehors de ses frontières le centre de sa vie politique ? Une dissolution serait dès-lors imminente ; les nationalités étrangères sur lesquelles la Suisse a fait prévaloir sa propre nationalité reprendraient tout leur ascendant, et se retrouveraient en présence, sans barrières ni médiateurs, entre le Jura et les Alpes. Le principe de neutralité n’est pas moins essentiel, on le voit, à l’équilibre européen qu’à l’existence politique de la fédération helvétique. Il ne faudrait pas croire d’ailleurs que ce principe imposât à la Suisse une politique purement égoïste et négative. Son rôle n’est pas d’assister avec indifférence aux luttes européennes, ni de rester insensible au mouvement intellectuel et moral qui s’accomplit