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pas les honneurs de la discussion. Raphaël, qui a consacré sa vie tout entière à l’expression de la beauté, n’a pas cru devoir négliger les conseils de l’art antique ; il a interrogé avidement les œuvres de la Grèce. Qui oserait le blâmer ? C’est au commerce assidu qu’il a entretenu avec l’antiquité que nous devons l’étonnante variété de ses œuvres. Est-il permis de comparer le Pérugin à Raphaël sous le rapport de la variété ? Les œuvres du Pérugin, dont plusieurs sans doute se recommandent par un mérite réel, semblent presque toujours reproduire un type invariable et constant. On dirait que l’auteur s’interdit l’invention comme une coupable pensée ; qu’il craindrait, en prêtant à la Vierge, à l’enfant Jésus, un visage nouveau, d’attirer sur sa tête le reproche d’hérésie. Les renseignemens que les biographes nous ont transmis, sans justifier cette conjecture, nous expliquent d’une façon très claire l’uniformité des œuvres du Pérugin. Nous savons en effet que le maître de Raphaël, très âpre au gain, reproduisait à l’infini ses compositions, et se copiait lui-même sans jamais se lasser. Il ne tenait pas tant au progrès de son art qu’au succès de son industrie ; il voulait tirer de ses moindres idées un profit permanent, et toutes les fois qu’il trouvait l’occasion de les reproduire, il la saisissait avec empressement. Il avait pour tous les épisodes de l’Ancien et du Nouveau Testament des types déterminés, et prenait bien rarement le soin de les modifier. Faut-il s’étonner qu’en se copiant sans relâche il n’ait pas trouvé moyen de mettre une grande différence entre les œuvres de sa jeunesse et les œuvres de son âge mûr ? La main la plus habile, en promenant éternellement le pinceau sur les mêmes lignes, sur les mêmes contours, loin d’acquérir plus de dextérité, finit par s’habituer au lieu commun, et c’est en effet le défaut qu’on peut reprocher à bien des œuvres signées du nom de Pérugin. Mais je veux bien oublier que la galerie du Louvre possède déjà depuis long-temps des tableaux de ce maître ; je consens à croire qu’il était utile d’acquérir une œuvre nouvelle achevée par la même main : était-il nécessaire d’aller à La Haye pour enrichir le Musée du Louvre ? N’y a-t-il pas au musée de Lyon une toile du Pérugin cent fois préférable au tableau acquis par MM. Reiset et Villot ? Tout en tenant compte de la jalousie provinciale, n’était-il pas possible de décider le conseil municipal de Lyon à échanger cette toile admirable contre des œuvres d’un autre maître ?

Lors même que la ville de Lyon eût refusé obstinément de céder au Musée de Paris le Pérugin qu’elle doit à la munificence du cardinal Fesch, était-il opportun d’acquérir au prix de 54,000 francs le Pérugin que M. Villot a rapporté de La Haye ? Pour le croire, pour le dire, il faudrait n’avoir jamais étudié l’histoire de la peinture, n’avoir jamais mis le pied dans les galeries de Rome ou de Florence, n’avoir jamais visité les églises décorées par le Pérugin. Or, M. Villot ne se trouve pas dans cette condition. Il connaît par lui-même l’histoire de la peinture ; il a pu mainte et mainte fois comparer le témoignage de ses yeux aux souvenirs de ses lectures. Comment donc expliquer l’acquisition du nouveau Pérugin que nous avons maintenant au Louvre ? M. Villot n’ignore certainement pas le rang assigné au Pérugin par le goût, par le savoir, par la justice ; il n’ignore pas que la monotonie, l’uniformité dont je parlais tout à l’heure a été reprochée au maître de Raphaël par ses contemporains mêmes. Il faut donc croire que M. Villot, par déférence pour une opinion qu’il ne partage pas, que ses études lui défendent de partager, s’est décidé à sacri-