Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/1143

Cette page a été validée par deux contributeurs.

quelque antinomie calculée pour agréer en même temps aux opinions les plus contraires ? Ce langage se serait mieux compris sans doute avec plus de précision, mais on ne saurait cependant lui donner de sens équivoque, pour peu qu’on se transporte de bonne foi dans le grand courant des idées entre lesquelles flotte notre âge. Nous nous en sommes déjà exprimés plus d’une fois ; il y a deux manières de voir et de sentir à propos du mot de révolution, toutes deux très injustement confondues sous l’ombre pernicieuse de ce mot unique qui les enveloppe. Il y a ceux qui n’aiment dans la révolution qu’une force destructive ; — il y a ceux qui n’en honorent et n’en défendent que la force créatrice, qui ne renient point la fécondité de cette création toute puissante, qui déplorent les malheurs et détestent les forfaits dont les crises décisives de la vie humaine ont toujours été accompagnés comme par une fatale compensation de son progrès, qui ne croient à ce progrès que dans une certaine mesure, mais qui, cependant, y croient et sont surtout persuadés que les siècles, comme les fleuves, ni ne s’arrêtent ni ne remontent.

Il faut bien que ceux-là partent de la révolution, puisqu’ils acceptent, puisqu’ils veulent embrasser les traditions nouvelles qu’elle a fondées dans la société française, et qui de là circulent peu à peu dans toute la société européenne ; mais qu’est-ce qu’il y a vraiment de fondé ? qu’est-ce qui subsiste ? Est-ce l’œuvre de 89 ou celle de 93 ? est-ce la sage ordonnance sur laquelle repose tout notre état civil, ou bien la folie qui méditait de le bouleverser au moment même où on l’édifiait ? Qu’y a-t-il de commun entre les deux, et comment soutenir que cette sagesse ait engendré cette folie, que les fondateurs ne fassent qu’un avec les destructeurs ? Si l’on nomme du nom de révolutionnaires l’espèce turbulente qui s’érige en maîtresse souveraine des états par la seule vertu des coups de main, qui s’impose aux nations par la violence des dictatures irresponsables, à qui ce nom-là convient-il moins qu’aux hommes qui ont relevé les pures notions de justice et de liberté dans ce monde de l’ancien régime où tous les sophismes n’empêcheront pas que la justice n’ait été qu’exception, et la liberté que privilège ? En le comprenant ainsi, en le rattachant à cette glorieuse filiation libérale, nous aussi nous sommes pour « le droit de la révolution » à tous les degrés de la vie publique, c’est-à-dire au plus haut de ces degrés pour le droit de la souveraineté nationale légalement et raisonnablement manifestée contre l’absolue souveraineté du vieux droit divin ; et, si c’est là toute la pensée que le président de la république a voulu traduire au grand jour, nous n’y voyons pas autrement de péril, et nous l’en remercions : il aura simplement cherché à faire sentir que, sur les soixante dernières années de notre histoire, il n’y en avait que quinze où « le droit de la révolution » n’eût pas régné.

Peut-être était-ce pourtant une métaphysique quelque peu disproportionnée, eu égard à la circonstance. En France, on ne prendrait pas très facilement l’habitude de voir des personnes officielles se mettre si en dehors : c’est un genre d’épreuve qui réussit d’autant mieux, qu’on ne le renouvelle pas souvent. Quant à cette fois néanmoins, l’épreuve avait le mérite de tomber avec une opportunité piquante. M. le président de la république dénonçait solennellement l’impuissance de la contre-révolution le soir même de la séance