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Il faut avouer qu’il s’est rencontré des momens, depuis 1848, où nos assemblées ont prêté beaucoup trop par leur propre faute aux atteintes de cette humeur critique. Nous apprécions d’autant mieux, l’intérêt et la dignité des séances bien remplies qui se succèdent depuis l’ouverture de la session, que nous avons encore le souvenir des pitoyables orages auxquels on fut tant de fois contraint de se résigner dans les sessions antérieures. Il est resté sans doute à la crête de la montagne des orateurs peu intelligens, dont toute l’éloquence consiste à interrompre, et qui n’ont pas même le talent de l’interruption ; mais les sévérités du règlement ont eu un sensible effet sur les explosions de leur patriotisme, et les rigueurs de la justice ont d’ailleurs amené à la place de l’ancienne phalange des membres nouveaux qui ne se croient point aussi obligés que leurs prédécesseurs de continuer au palais Bourbon les pures traditions des clubs. M. Miot lui-même vient à son tour d’être livré aux poursuites judiciaires pour avoir traité le conseil-général de son département comme il traitait quelquefois l’assemblée. Ce n’est pas seulement sur ces bancs indisciplinés que la législature a pris un aspect plus grave. Les vacances parlementaires avaient été dominées, on doit en convenir, par des incidens qui pouvaient donner à craindre que la majorité de l’assemblée ne se montrât plus aussi pénétrée de la nécessité du bon accord entre toutes les régions du pouvoir. La commission de permanence avait été si vive dans l’expression de ses contrariétés, qu’on était à même de lui supposer en retour plus d’une intention contrariante, et l’on ne savait pas si elle n’aurait point par hasard la fantaisie ou peut-être le droit d’en appeler des émotions de son intérim à la majorité qui l’avait nommée. On entrevoyait malgré soi quelque futur conflit entre la prérogative présidentielle et celle du parlement, et l’on redoutait que l’on ne s’apprêtât des deux bords à ce conflit regrettable par un échange trop prolongé de taquineries politiques. Ces velléités inquiétantes ou du moins ces défiances réciproques ont disparu devant la netteté des déclarations du message. Le gouvernement et l’assemblée ont maintenant ajourné de concert toutes les causes qui pourraient troubler une harmonie si bienfaisante, et les délibérations comme les affaires profitent du répit que l’on s’est mutuellement accordé.

Ce répit n’est cependant de part ni d’autre une abdication ; on s’est entendu pour éviter les querelles, mais on a réservé les positions prises, et chacun aime à marquer la sienne. Ce n’est pas là l’un des côtés les moins étranges de la situation que la charte de 1848 nous a faite, en organisant tout exprès l’antagonisme des grands pouvoirs de l’état. En cela certes, la première charte de la république a trop bien réussi, et l’antagonisme existe autant qu’elle l’a voulu ; mais la sagesse de ces pouvoirs, naturellement rivaux, a su par bonheur atténuer mieux qu’on ne l’eût espéré l’inconvénient ineffaçable de leur rivalité originelle. Comme il n’est pas possible de croire à la durée de la constitution, ils ont gagné sur eux de vivre du moins en bonne intelligence tout le temps que la constitution durerait. Seulement, comme il est aussi trop facile de prévoir que la constitution n’a pas encore long-temps à durer, les égards qu’ils se témoignent en attendant la fin de la trêve ne sont jamais que des égards provisoires, et, jusque sous la modération bienveillante dont ils usent l’un envers l’autre pour le présent, on sent percer les prétentions contradictoires qu’ils tiennent en disponibilité pour l’avenir. Ces prétentions, qui ne perdent ainsi