Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/1133

Cette page a été validée par deux contributeurs.

musicale le génie d’une cantatrice de premier ordre, il faut avoir entendu Jenny Lind exécuter la partition de Donizetti. Ce que cette partition, médiocre au fond, et qui passait inaperçue à l’Opéra-Comique, devient entre ses mains, ce qu’elle y trouve d’effets imprévus, de hardis mouvemens, de mélodieuses révélations, ceux-là même ne se le pourraient imaginer chez lesquels Mme Sontag provoque chaque soir de si légitimes transports d’enthousiasme.

La catastrophe de février avait traité en véritable royauté le Théâtre-Italien de Paris ; ce plaisir de bonne compagnie, qui semblait devoir disparaître dans l’ébranlement des empires, nous sera-t-il rendu jamais tel que nous l’avons connu autrefois ? L’avenir se chargera de répondre à la question. Quant à l’heure présente, il y aurait grand tort à prétendre se montrer trop exigeant. Les bonnes entreprises ne se fondent qu’avec le temps, et l’on ne saurait espérer d’un directeur qu’il improvise en quelques semaines un groupe de talens illustres. Que cette saison d’hiver appartienne donc et aussi long-temps qu’elle se prolongera à Mme Sontag ; nous admettons aussi très volontiers, en manière d’intermède classique, l’intervention de M. Duprez, protégeant de son autorité de grand chanteur émérite les débuts de Mlle Caroline Duprez, sa fille ; mais qu’on n’oublie pas que, pour être renvoyées à l’année prochaine, les exigences du public n’en seront que plus absolues, et qu’à cette époque tant de débuts modestes, qu’on accueille aujourd’hui encore avec indulgence, passeraient pour une dérision. Au nombre des chances qui doivent rendre très difficile parmi nous le succès de l’entreprise de M. Lumley, on ne peut s’empêcher de compter la fâcheuse mésintelligence qui existe entre lui et les trois grands chanteurs dont le talent a le plus contribué, pendant ces dernières années, à la gloire du Théâtre-Italien de Paris. On sait d’avance que tant que durera son administration, ni la Grisi, ni Mario, ni Ronconi, ne reparaîtront sur la scène des Bouffes, et c’est là, nous ne le cachons point, une très regrettable certitude. On a parlé de l’engagement de Ronconi à l’Opéra, et il ne tiendrait peut-être qu’à un mot de Meyerbeer que celui de Mario fût signé dès demain. Une fois le noyau formé, la Grisi et l’Alboni ne tarderaient pas à s’y joindre, et vous auriez à deux pas de vous toutes les forces vives du Théâtre-Italien, se déployant sur une scène qui, avec les ressources infinies dont elle dispose, ne tarderait pas à vous écraser de sa supériorité. Évidemment ce ne sont là encore que des conjectures ; mais à de semblables éventualités il faut parer de loin, et, quant à nous, très ardemment nous souhaitons qu’on les conjure, car la ruine du Théâtre-Italien ne serait pas le moindre inconvénient d’une combinaison de ce genre, qui, à la longue, naturaliserait à notre Académie nationale de Musique les habitudes d’un langage et d’une déclamation inintelligibles, habitudes déjà beaucoup trop florissantes depuis les récens succès de Mlle Alboni.

Avez-vous entendu la reprise du Barbiere par Mme Sontag et Lablache ? Au lendemain d’une représentation de l’Enfant prodigue, la chose en vaut la peine, ne fût-ce que pour se rendre compte des progrès de l’art, comme disent les docteurs en tablature. Voilà au moins de la musique éternellement jeune et brillante, tirant tout de son propre fonds, ne comptant que sur elle pour entraîner et ravir son monde et dégagée de tout cet attirail complexe dont la vraie mélodie s’offusque, de tous ces élémens étrangers qu’on appelle à soi dans les périodes de décadence. Il y a tantôt trente-deux ans que Rossini a écrit son