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facile, et de former sur l’intelligence publique ces nuages d’où jaillit l’éclair qui se traduit parfois en effroyables saturnales. Quel est le remède à cette corruption organisée ? C’est justement de ramener sans cesse au sentiment des choses réelles, de remettre en honneur les simples et naturelles explications de la vie humaine, de dissiper les chimères et les fantômes à mesure qu’ils renaissent ou se perpétuent, et de les montrer sous leur jour ridicule ou sinistre. Par une ironie secrète des événemens, la révolution de février elle-même a bien pu être plus fatale qu’utile à toutes ces théories, à toutes ces doctrines qui s’agitent et ont des convulsions sous nos yeux. Elle les a forcées à sortir du domaine de la pure spéculation et à prendre corps. Elle leur a livré un moment la société, et a contraint la société, pour se mesurer avec elle, à s’appuyer sur ses réalités fondamentales. Or, c’est ce contact de la réalité qui double la force, de même que la notion claire du péril est en quelque sorte un élément de sécurité. C’est cette notion du péril qu’il faudrait bien ne pas voir périr et s’effacer sous l’amour puéril d’un autre genre de disputes byzantines ; c’est de ce sentiment exact des choses réelles qu’il faudrait sans cesse s’armer contre la légion des ombres et des systèmes. Lucien raconte que ce Mithrobarzanes dont je rappelais l’histoire, après avoir achevé l’initiation de Ménippe, le conduisit aux enfers ; là, Tirésias engagea le bonhomme à se défaire des chimères philosophiques, en ajoutant : « La meilleure vie est la plus commune. » Le conseil de Tirésias avait du bon. Oui, la vie commune ! non point parce qu’elle ramène à l’égoïsme de la conduite, à la vulgarité des résolutions, mais parce qu’elle maintient l’ame humaine en contact avec les conditions réelles de sa nature et de sa destinée, et qu’elle révèle à l’homme la loi de son vrai perfectionnement à l’abri des chimères qui lui communiquent de fausses exaltations, qui le conduisent à la décadence en lui parlant de progrès, et le mènent à la brutalité en lui parlant de christianisme.


Ch de Mazade.