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le conseil ? La révolution est elle-même la religion d’où tout découle, qui peut seule rétablir l’unité des ames rompue par les religions officielles, et élever ce sauveur dont parle l’auteur, c’est-à-dire l’homme de l’humanité nouvelle, du christianisme universel. M. Quinet tend visiblement à se constituer le Fénelon de ce nouveau Télémaque, selon son expression. La loi récente sur l’enseignement ne répond guère, cela se comprend, à cet idéal. M. Quinet ne voit qu’un chaos dans cette œuvre d’honnêtes gens qui ont préféré la logique de la réalité à la logique des chimères, et ont essayé de faire vivre ensemble les élémens essentiels de toute société humaine. Rien n’est plus facile que ces critiques : rien n’est plus aisé que de peindre la perplexité de l’instituteur entre son maire et son curé qui lui parlent un langage différent, de montrer le protestantisme et le catholicisme se faisant la guerre dans les conseils, se disputant les ames, puis de représenter, avec une ironie malsaine, le chaos planant sur l’ensemble et s’écriant, comme il le pourrait faire dans Ahasvérus : « O bonheur ! ô joie ! voilà bien mon empire ! Quel vertige ! Fidèles sujets, ne vous séparez pas, vous m’enivrez de délices ! Le mélange ténébreux des élémens dans la nuit matérielle où naquit Uranus n’était rien auprès de cette nuit morale, intellectuelle, philosophique, religieuse, divine ; confusion de l’esprit ! volupté du chaos ! » Mais ne pourrait-on pas faire une bien plus juste application de ces merveilleuses peintures ? Humanité progressive, christianisme révolutionnaire, Icarie, phalanstère, anarchie, — combinez tout cela ! — O confusion de l’esprit ! ô volupté du chaos ! pourrions-nous dire à notre tour ; inappréciables élémens d’un beau chapitre des variations socialistes ou d’un dialogue nouveau de quelque Lucien sur les sectes à l’encan ! — Eh bien ! non ; restons dans le sérieux : ceci ne serait pas plus vrai que l’assertion de M. Quinet. Il y a au fond dans le socialisme, au milieu de la variété de ses nuances, sous les déchiremens de ses sectes qui se dévorent parfois, une unité très réelle : c’est la négation radicale, essentielle, variée seulement dans la forme, des vérités que le christianisme a mises au sein des sociétés. De même, chez ceux qui s’attachent à le combattre, sous des contradictions apparentes et dans une certaine mesure d’indépendance réciproque, il y a l’affirmation commune de ces mêmes vérités. C’est le flambeau qui éclaire notre situation, et ce mot d’enseignement du peuple, quand il est jeté entre les partis, prend à ce point de vue tout son sens et toute sa moralité.

L’enseignement du peuple ! oui, voilà le mot ambitieux de tous ces systèmes, de toute cette propagande qui se poursuit alternativement au grand jour ou dans l’ombre. Tout ce qui nourrit quelque intelligence, ne fût-ce que quelque instinct révolutionnaire, sent bien qu’il y a peu à attendre d’un peuple dont l’esprit n’est point pétri de chimères, qui chérit son foyer, qui vit dans le travail et garde surtout les notions simples des choses. Aussi voyons-nous de toutes parts éclater ce triste et malfaisant besoin de faire surgir des entrailles de la société réelle ce peuple factice, ce peuple de théâtre, qu’on mène avec des mots, qui a le journal pour évangile, et auquel on dit qu’il sera un vrai chrétien en se révoltant contre la loi universelle et rigoureuse de la douleur et du travail. Le résultat de ce prosélytisme, c’est d’enlever tout sentiment de la réalité, d’ôter à l’esprit cette vue simple des choses qui rend le devoir