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un joug, mi assujétissement, une discipline qui contient et réprime. Dieu et l’homme sont en hostilité éternelle : supprimons Dieu, et ne jouons pas la farce ridicule de nous faire un dieu facile et paterne qui se prête à toutes nos fantaisies et arrive tout justement à propos pour sourire à chacune de nos volontés. — M. Proudhon, en proclamant l’athéisme et l’anarchie, ne fait autre chose que dégager le sens extrême des démembremens successifs de l’autorité divine et humaine qui forment le fond de la tradition révolutionnaire. Étrange embarras pourtant que celui où M. Proudhon place M. Pierre Leroux ! Il le met dans l’alternative ou de viser à se faire pape, ou de n’avoir point absolument d’autres idées que lui, Proudhon, sur Dieu, la religion, la propriété, le gouvernement, sauf à « les embrouiller de triade, de circulus, de métempsycose et de toute sorte d’illuminations métaphysiques et érotiques. » C’est un dom Gerle de notre temps, assure M. Proudhon, qui a son Robespierre dans M. Louis Blanc, et auquel les Catherine Théot ne manqueront pas. O variété inépuisable des travestissemens révolutionnaires !

Que M. Pierre Leroux publie encore les merveilles de son christianisme et l’identifie au socialisme, soit ; nous savons ce qui s’y cache, nous savons ce qui est au fond de cette coupe d’ébriété mystique et ce que veut dire cette identité où les mots changent de sens, où la révolte universelle se transforme en usage religieux et libre de nos facultés, où la satisfaction de tous les désirs devient le devoir, et où l’insurrection, c’est-à-dire le fait dans toute sa brutalité, se qualifie de droit de l’homme. La société elle-même le sait par la série de ses épreuves et le nombre des blessures saignantes qu’elle porte au flanc. Il est, en effet, un point, par malheur, où M. Pierre Leroux dit vrai, sans soupçonner toute la portée de son assertion : c’est quand il affirme que le christianisme révolutionnaire, ou du moins ce qui se cache sous ce nom, règne parmi nous, et que des symptômes multipliés attestent sa présence et son action. Oui, assurément, il règne dans l’air plus qu’on ne le pourrait croire ; il a toute la puissance de l’esprit du mal érigé en religion ; il a son génie, sa morale, ses interprétations de la vie humaine, sa tradition écrite dans toutes les défaillances de la société, dans les faits comme dans les mœurs, — à tel point que — c’est aujourd’hui une de nos ressources de pouvoir saisir et marquer distinctement son caractère par ses résultats. Un éminent esprit qui, du sein d’un pays retranché en apparence de la vie philosophique de l’Europe, observait avec une pénétrante justesse ce travail de falsification des idées contemporaines, avait aperçu sous son vrai jour, avant février, ce christianisme étrange, comme il l’appelait, et il le jugeait en lui laissant son nom d’emprunt : c’est l’Espagnol Don Jaime Balmès. « Qu’y a-t-il de semblable entre votre christianisme, disait-il, et celui de l’Évangile ? Celui-ci formait des anachorètes, le vôtre forme des sybarites ; celui-ci épura et corrigea les mœurs du monde païen, le vôtre corrompt les mœurs du monde actuel ; celui-ci étouffa l’égoïsme sous la charité, le vôtre divise les hommes en se couvrant du nom d’une fraternité stérile, et fomente dans leur cœur l’instinct de l’individualisme et de l’intérêt propre ; celui-ci organisa la famille, sanctifia le mariage, le vôtre relâche le lien conjugal et dissout la famille… Là où votre morale s’introduit, la corruption se mesure au degré de diffusion de vos doctrines. Contemplez votre œuvre… fixez vos regards sur la cité riche, populeuse et florissante, rendez-vous des