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la miraculeuse réalisation du véritable idéal chrétien, et ce qui éclate au premier coup d’œil dans l’époque révolutionnaire, c’est la renaissance confuse d’un paganisme incohérent ; — il vise à la nouveauté, et, même dans les affectations mystiques de sa phraséologie, c’est une des plus tristes vieilleries qui aient traîné dans les bas-fonds des sociétés secrètes du XVIIIe siècle ; — il aspire à fonder l’affirmation suprême, le symbole religieux de l’avenir, et la négation est son essence, l’athéisme son dernier mot. J’aime mieux le cynisme cru d’un des premiers sectateurs de ce malfaisant sophisme, qui, après avoir exposé sa doctrine, ajoutait : « Ce qu’il y a de plus singulier, c’est que de grands docteurs croient réellement reconnaître ici le véritable esprit, le vrai sens du christianisme. O hommes, que ne pourrais-je pas vous faire croire ! » Et en vérité cet aveu n’est-il point le dernier résultat auquel on arrive en disséquant cette série de prétentions qui alimentent les polémiques du socialisme pseudo-chrétien ?

Quand je parle de ce mélange de paganisme qui se retrouve au fond de la révolution et qu’une légion d’esprits nuageux se plait à décorer d’une sorte de mysticisme chrétien, est-ce une assertion extrême ? N’est-ce point plutôt l’expression d’un fait, l’indication d’un des côtés les plus frappans de cette orageuse époque au milieu de la multitude d’aspects et de nuances dont elle offre le spectacle ? Rien n’est plus curieux que cet essai de reconstruction d’un christianisme supérieur avec les élémens de la révolution française prise en ce moment suprême de 1793, — non de 1789, entendez-vous. Ce qu’il est vrai de dire, c’est que le paganisme y dégorge de toutes parts, sous toutes les formes, et s’y manifeste par mille endroits, dans les pensées, dans les mœurs, dans la manière d’envisager les institutions ou d’entendre l’idée de la patrie et du droit, dans le caractère même du courage qui s’y rencontre ou de ce qui prenait le nom de vertu, et jusque dans le geste, la figure et l’attitude des hommes. Il est des tendances, des instincts, des préjugés inhérens à la révolution, qu’on ne pourrait comprendre, si on ne tenait compte de cette fermentation du levain païen. On ne comprendrait pas cette omnipotence terrible des sociétés antiques rendue à l’état et la destruction de cette dualité du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel qui est la sauvegarde de la plus inaliénable des libertés, — la liberté de la conscience humaine. On ne comprendrait pas cet âpre et exclusif sentiment de domination qui éclatait en paroles d’extermination, en chants tyrtéens, qui faisait reparaître dans le langage du jour l’antique identité entre le mot d’étranger et le mot d’ennemi, et qui s’est retrouvé, il faut le dire, dans l’excès des émulations guerrières de l’empire. On ne comprendrait pas le retour de ces dénominations d’hommes libres et d’esclaves, et ces essais de résurrection des castes fondés sur le droit de conquête populaire. Écoutez Saint-Just dans son rapport du 10 octobre 1793 : « Votre comité avait eu l’idée, disait-il, d’employer les hommes suspects à rétablir les chemins, à percer les canaux…, à transporter les bois de la marine, à nettoyer les fleuves. Ce serait le seul bien qu’ils auraient fait à la patrie. C’est à vous de peser cette idée dans votre sagesse : il serait juste que le peuple régnât à son tour sur ses oppresseurs, et que la sueur baignât l’orgueil de leur front… » Ce jeune et stoïque insensé, qui se croyait l’émule de Lycurgue, proposait de décréter l’ilotisme, et le plus nouveau des ilotismes assurément, — l’ilotisme par suspicion, prononcé à chaque heure