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d’un auditoire inexpérimenté ? Leur langage était enflammé et prenait un caractère prophétique ; ils promulguaient, c’est bien le mot, leurs discours de l’héroïque montagne de Geneviève, comme ils disaient. Ai-je besoin de nommer M. Michelet et M. Quinet ? A travers les divagations radicales, voltairiennes, lyriques, humoristiques de leur enseignement, une inspiration commune animait les deux professeurs : ils étaient prophètes et révélateurs ! Passé, présent, mouvemens historiques, mouvemens littéraires, travail contemporain des peuples, tout leur servait à mettre au jour un christianisme de leur fantaisie, religion vivante et féconde des penseurs en opposition avec les religions officielles des pharisiens, des docteurs et des scribes, — un christianisme qui, après s’être propagé sourdement à travers les siècles, après avoir eu ses précurseurs et ses martyrs, aurait trouvé sa pleine et suprême réalisation vers l’an 1793, dans la révolution française, pour se perpétuer dans le socialisme ! Le langage était en harmonie avec la pensée : c’était une phraséologie tout empreinte d’illuminisme, semi-religieuse, semi-poétique, où il était sans cesse question de l’eucharistie sociale, du règne du verbe, de l’incarnation de l’idéal divin par l’égalité et la fraternité, et où la convention passait à l’état de concile nouveau, de foyer inextinguible de spiritualisme chrétien. Saine et merveilleuse nourriture pour cette jeunesse destinée aux épreuves, qui allait battre des mains à ces visions comme à des réalités puissantes !

Qu’est-ce à dire ? au sein d’une société sceptique et clémente, plus surprise qu’irritée et trop dépourvue de vigilance à coup sûr, il s’était trouvé quelques songe-creux pour envelopper de mysticisme et de poésie la plus pure essence de la démagogie, comme on enferme un poison subtil et rare dans un flacon précieux, et pour offrir en pâture aux intelligences superficielles ou malades cette perpétuelle confusion entre l’idéal chrétien et l’idéal révolutionnaire. M. Quinet peut passer à juste titre pour un des héros de cette inspiration avant 1848. Est-il donc sans intérêt de reproduire cet épisode de notre vie intellectuelle, après avoir vu ces prédications déteindre sur les faits contemporains, après avoir vu ce christianisme révolutionnaire devenir une des folies accréditées de notre temps et tomber comme une arme tout aiguisée aux mains des factieux subalternes eux-mêmes ? Songeons-y en effet : ce n’est point un ennemi mort que j’irais relever par pure curiosité archéologique, c’est un ennemi d’hier sans doute et c’est aussi un ennemi d’aujourd’hui, envahissant nos carrefours et nos polémiques ; le malheur de notre société avant février, ç’a été de ne croire au danger de ces hallucinations que lorsqu’elle les a vues à l’œuvre et de perdre jusque-là ses forces dans des préoccupations factices.

Qu’est-ce donc que le christianisme révolutionnaire ? Les métamorphoses qu’a subies cet étrange et odieux sophisme, les polémiques dont il est l’ame, les héros en qui il se personnifie sont là pour répondre. Cette généalogie que je signalais entre quelques-unes de nos plus glorieuses imaginations de la veille et les réalités du lendemain éclate dans de récens témoignages. Ce n’est plus au sein d’une société rassise et en possession d’elle-même, ce n’est plus dans la chaire transformée en trépied d’un professeur visionnaire que cette inspiration pseudo religieuse se fait jour c’est un peu partout autour de nous, au club, dans la rue, dans les assemblées publiques, chez tous ceux qui visent à une tenue un peu complète de réformateurs et qui tiennent manufacture de décrets au timbre