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soit en métal. La transformation qui s’est accomplie dans l’état social doit s’étendre, j’en conviens, aux opérations de l’industrie et du commerce. La nécessité de salarier les cultivateurs et de fractionner les paiemens entraîne l’adoption d’une monnaie qui se prête à ces nouveaux usages. Si les espèces d’argent n’avaient pas cours dans telle ou telle de nos colonies, il faudrait les y introduire ; il n’y a pas évidemment place dans ces contrées relativement pauvres pour l’emploi de la monnaie d’or.

Est-ce là une raison pour faire descendre les coupures des billets de banque jusqu’à la limite de 10 et même de 5 francs ? On remarquera que la condition des Antilles aujourd’hui ne diffère pas essentiellement de celle des autres pays libres Les planteurs ont à payer par semaine, par quinzaine ou par mois, les journées des cultivateurs noirs, absolument comme on paie en Europe les journées des ouvriers dans les manufactures, ou dans les campagnes celles des paysans. Qui a jamais songé cependant à payer en Angleterre ou en France la journée de l’ouvrier ou celle du paysan en billets de banque ?

Le papier de banque est destiné à représenter par ses coupures les sommes qui ne pourraient pas être payées commodément en monnaie d’or ou d’argent. Dans toute circulation bien réglée, les espèces métalliques ne forment plus que l’appoint des gros paiemens, et les petits paiemens restent leur principal domaine. Quand vous faites circuler des billets de 100 francs, il est clair que les espèces d’or et d’argent sont reléguées dans les régions inférieures à ce chiffre. Si vous faites descendre les coupures à 50 à 20 et même à 5 fr., vous rétrécissez d’autant le champ des métaux précieux ; la monnaie d’argent est alors réduite au rôle de billon. C’est ce qui arrive dans l’Amérique du Sud, où nos pièces de 1 fr. et de 50 cent. commencent à supplanter la piastre espagnole.

Par une conséquence directe du système colonial, le numéraire tend naturellement à sortir des Antilles pour aller solder dans les centres commerciaux du continent américain les denrées qu’elles reçoivent, sans pouvoir effectuer les retours en marchandises. L’exposé des motifs prétend remédier à cette irrégularité des transactions par l’émission des coupures de 5 fr. Ce serait bien, si les étrangers qui vendent de la farine à nos colonies voulaient recevoir de la monnaie de papier en échange ; mais, comme il est de l’essence du papier de banque de ne pas franchir la frontière, et comme il n’a cours que dans les limites du privilège, en abaissant les coupures, on ne ferait qu’accélérer l’émigration des métaux précieux. Les pièces de 5 francs étant supplantées par les billets de même valeur, disparaîtraient de la circulation en quelques semaines. Il arriverait aux Antilles ce qui est arrivé en Écosse,