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que le sujet qu’il a traité touche, en plus d’un point, aux sentimens et aux pensées que Giusti voulait populariser. Parini, en décrivant la vie des riches milanais, a tracé le tableau satirique de son temps. Il a opposé le travail à l’oisiveté, le dévouement à l’égoïsme, le bonheur à l’ennui, et quoique sa parole n’attaque jamais le vice à la manière de Juvénal, quoiqu’il use de l’ironie et de l’hyperbole avec ménagement, la lecture de son poème laisse dans l’esprit une trace profonde. La modération même de son langage ajoute à la puissance de ses railleries. Ni amertume ni exagération, rien qui sente la colère. Parini flétrit la débauche et l’oisiveté, l’égoïsme et la gloutonnerie, sans avoir l’air d’y toucher. Il y a tant d’art et de prévoyance dans l’ordonnance de ses pensées, les images sont assorties avec tant d’habileté, que l’esprit le moins enclin à la satire ne songe pas à se défier du poète. On se trouve amené par une pente insensible à partager son mépris pour l’ennemi qu’il combat et qu’il terrasse en faisant semblant de le flatter, car c’est là le secret de Parini. Chez lui, l’ironie ne marche jamais le visage découvert. Elle se cache sous le masque de la flatterie, et le trait qu’elle lance est d’autant plus sûr, qu’il est imprévu. Parini raconte et décrit, et le simple récit suffit à l’enseignement qu’il se propose. Il n’y a pas dans ses vers une seule parole qu’on puisse accuser de rudesse, pas une image qui effarouche le goût. Ceux mêmes qu’il blesse mortellement, qu’il voue au ridicule, sont obligés de reconnaître son exquise politesse. Aussi je ne m’étonne pas du succès vraiment littéraire, du succès durable obtenu par le poème de Parini. Le matin, le milieu du jour, le soir et la nuit offrent une suite de tableaux où la malice la plus mordante parle toujours le langage de la bonne compagnie. Cette forme de satire n’a rien de commun avec la forme antique ; elle appartient tout entière au poète lombard. Il y a, dans cette manière de frapper le vice en le flattant, quelque chose qui ressemble aux caresses d’un chat épiant l’heure de la vengeance ; c’est dans la satire une tactique toute nouvelle, et qui ne peut être pratiquée que par un esprit délié.

Cependant je ne voudrais pas laisser croire que j’admire sans réserve le talent de Parini. Sans parler des allusions mythologiques, beaucoup trop nombreuses dans son poème, et dont le nombre s’explique d’ailleurs par le temps où il écrivait, il est permis de blâmer sa prédilection pour la périphrase. On dirait qu’il craint d’appeler les hommes et les choses par leur nom. Malgré l’incontestable habileté qu’il déploie dans le maniement des images, malgré la grace qu’il prodigue dans chacune de ses circonlocutions, on regrette souvent qu’il ne consente pas à parler plus simplement. On aimerait à voir sa pensée s’exprimer dans une langue moins savante, ou du moins à voir la science qu’il possède se produire avec moins d’ostentation. Toutefois,