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jour, c’est méconnaître le but de la satire politique. De quoi s’agit-il en effet ? La tâche du poète se réduit-elle à répéter ce qui a déjà été dit cent fois ? Giusti n’a pas pu le croire. Cependant je n’aperçois nulle part la ferme volonté de présenter sous une forme vivante les idées formulées par la philosophie moderne. Ce n’est pas que je prétende identifier la prédication philosophique et la poésie satirique, une telle pensée n’est jamais entrée dans mon intelligence ; mais la satire, dont l’antiquité nous a laissé de si admirables modèles, ne peut se dispenser d’étudier les souffrances aussi bien que les vices de la société qui l’écoute. Le poète qui ne comprend pas toute l’importance de cette enquête aura beau prodiguer les traits les plus ingénieux, recueillir et garder dans sa mémoire fidèle toutes les anecdotes dont s’égaie l’oisiveté des salons ; il ne s’acquittera jamais glorieusement de la mission qui lui est confiée, car tous les vices, quels qu’ils soient, sont une forme particulière de l’égoïsme ; toutes les vertus, une forme particulière du dévouement : c’est pourquoi le poète qui veut flétrir les vices de son temps doit connaître aussi bien les souffrances qui s’agitent et appellent le dévouement que l’égoïsme qui répond à la plainte par l’indifférence. En un mot, si la philosophie est le fondement de toute poésie, on peut le dire surtout de la satire politique. C’est pour avoir méconnu cette vérité que Giusti, malgré toutes les ressources de son esprit, n’a jamais rencontré les pensées qui se gravent dans toutes les mémoires. Faute de connaître assez nettement les questions sociales dont se préoccupent à leur insu les intelligences les plus paresseuses, il n’a jamais donné à sa colère, à son ironie la grandeur et la puissance dont le poète satirique a besoin pour accomplir sa mission.

La satire politique, telle que nous la voyons dans les œuvres de Giusti, se confond volontiers avec l’improvisation du journal. Il arrive bien rarement qu’il cherche pour sa pensée une forme capable de la protéger contre l’oubli. Plein de confiance dans son esprit, habile à saisir, à signaler des rapprochemens inattendus, il se contente d’amuser, et ne paraît pas s’inquiéter de ce qu’on pensera après avoir fermé son livre. Est-ce de sa part modestie ou insouciance ? Giusti, en écrivant, croit-il toutes ses pensées menacées d’une prochaine indifférence, et se résigne-t-il sans murmurer à l’arrêt qu’il a prévu ? Craint-il de perdre son temps en engageant contre l’oubli une lutte inutile ? ou bien, tout entier à la joie de flétrir les vices de son temps, de réveiller en sursaut les puissans endormis dans le mépris de la souffrance, ne songe-t-il pas même au vent qui emporte chaque jour le bruit de nos paroles ? A mon avis, ce n’est de sa part ni modestie ni insouciance. Parmi les vertus de Giusti, je ne crois pas qu’il faille compter l’humilité. Je suis loin de lui reprocher la fierté qui respire dans ses œuvres, car l’indignation du poète satirique ne va guère sans la fierté. Si j’en