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et qui espère cacher sous l’ordre de Saint-Étienne tous ses méfaits. C’est à coup sûr une donnée satirique. Malheureusement les meilleurs passages de cette composition perdent la moitié de leur valeur, faute de concision. Le poète a imaginé, pour épouvanter le nouveau chevalier, une fantasmagorie souvent ingénieuse, mais qui dure trop longtemps et finit par lasser la patience. Pour n’avoir pas su s’arrêter à temps dans le développement de sa pensée, le poète n’obtient qu’un demi-succès. Réduite de moitié, condensée par la réflexion, cette satire obtiendrait certainement de plus nombreux applaudissemens.

Le Brindisi pour un pique-nique ne se recommande pas seulement par la gaieté, mais bien aussi par la sobriété des développemens. L’auteur a su se renfermer dans de justes proportions. Ce Brindisi est une raillerie à l’adresse des Italiens qui ne consentent pas à garder les habitudes et le langage de leur pays, et s’efforcent d’imiter tour à tour la France et l’Angleterre. En un mot, c’est une boutade contre les singes. Cette donnée ne se distingue pas précisément par la nouveauté plus d’une fois déjà elle a été mise en œuvre au-delà comme en-deçà des Alpes ; mais Giusti a su la rajeunir par la franchise et la vivacité du langage. Il frappe juste et se moque en joyeux convive des phrases anglaises et françaises dont les oisifs assaisonnent leur conversation. Sous cette ingénieuse raillerie, il n’est pas difficile d’apercevoir une pensée grande et sérieuse, l’amour de la patrie, le respect des aïeux. Les amis réunis autour du poète ne sont pas animés de sentimens frivoles. L’énergie virile de son langage montre assez clairement qu’il voit en eux des hommes pour qui le passé n’est pas un vain souvenir, mais un conseil, un encouragement.

Les pièces que je viens d’analyser suffisent pour caractériser la manière de Giusti. Chaque page de son recueil offre à peu près les mêmes défauts et les mêmes qualités. Je ne parle pas du reproche que lui adressent en Italie ses plus fervens admirateurs, parce que ce reproche, en-deçà des Alpes, serait difficilement compris. Giusti, quoique nourri de lectures excellentes, malgré son commerce familier avec les plus grands esprits, les plus habiles écrivains de son pays, n’écrit pourtant pas une langue très pure. Il emploie trop souvent des locutions qui ne sont pas toscanes dans l’acception littéraire, mais dans l’acception locale du mot. Il prodigue les étruscismes. Ce n’est pas à nous qu’il appartient de relever une pareille faute. Nous devons nous borner à juger la pensée en elle-même, et ne pas nous aventurer dans cette question de pure philologie. Vouloir parler des locutions toscanes de Giusti serait de notre part une ridicule prétention ; autant vaudrait disserter sur la patavinité de Tite-Live. Cependant il n’est pas inutile de mentionner le reproche adressé à Giusti par ses compatriotes, car c’est peut-être dans sa prédilection pour les locutions toscanes