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mis en doute ; mais, en passant de la région scientifique dans la région esthétique, la phrénologie, utile tout à l’heure, devient évidemment dangereuse. Les plus beaux ouvrages de l’art grec n’ont rien à démêler avec l’enseignement phrénologique ; or, voulût-on accepter sans réserve les prophéties fastueuses de Condorcet et de Carat sur le perfectionnement indéfini de l’esprit humain dans le domaine scientifique, bon gré mal gré il faut bien reconnaître que l’art grec n’a jamais été surpassé, j’ajouterai même sans témérité qu’il n’a jamais été égalé. L’art grec s’est très bien passé de la phrénologie ; l’art moderne, en acceptant les lois de cette science nouvelle, n’a-t-il pas oublié les préceptes suivis par l’art antique ? Je ne veux pas m’arrêter à le démontrer. Les artifices de la logique seraient ici absolument superflus. De quoi s’agit-il en effet ? Il s’agit de savoir si la ferme résolution d’exprimer par la forme de la tête humaine toutes les passions, tous les appétits, toutes les facultés dont le modèle proposé a donné des signes éclatans dans le cours de sa vie ne doit pas introduire dans l’œuvre du statuaire une multitude de détails qui, vrais en eux-mêmes, arrivent, par leur nombre, à troubler l’harmonie, l’unité dont l’art ne peut se passer. Si la phrénologie était ignorée des Grecs, les artistes éminens du siècle de Périclès n’avaient pas négligé l’étude du masque humain dans ses expressions les plus diverses. Quoique le temps nous ait envié les œuvres de Pythagore de Rhèges, qui avait consacré son talent à la représentation de la douleur, nous avons, parmi les monumens qui nous restent, de quoi mesurer en toute sécurité le savoir des artistes grecs. Le Laocoon du Vatican, le masque de Jupiter placé dans le même musée et faussement appelé Jupiter olympien, l’Apollon pythien, qui participe à la fois de la Grèce et de l’Italie, nous offrent des types assez variés, et nous pouvons, d’après ces types, marquer clairement jusqu’où les anciens avaient poussé l’étude de la physionomie humaine. Eh bien ! prenez le Laocoon, le Jupiter, l’Apollon, bien qu’aucune de ces œuvres ne puisse être considérée comme originale, il n’y a cependant aucune présomption à les appeler en témoignage. Si le Jupiter de Phidias, fait d’ivoire et d’or, a péri dans le XIIe siècle de l’ère chrétienne, il n’y a rien d’invraisemblable à supposer que le masque placé au Vatican est une réduction éloquente et fidèle de l’œuvre originale ; la triple signature placée sur la plinthe du Laocoon, sans prouver que nous possédions le premier groupe connu sous ce nom, établit au moins que le marbre du Vatican est la réplique d’une œuvre grecque. Si l’Apollon pythien, plus connu sous le nom d’Apollon du Belvédère, a dû, d’après la ténuité de la draperie, être fondu en bronze avant de se montrer à nous tel que nous le voyons, sans vouloir comparer l’Apollon pythien au Thésée de Phidias, il faut bien y voir cependant l’expression de la beauté virile dans l’antiquité. Le style de cette figure,