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agitant les grelots dont est garnie la boîte de la couleuvre. Les rires, les sanglots, les hurlemens, les défaillances, les morsures ajoutent leur délire au délire croissant de la fièvre et du tafia. Les plus faibles finissent par tomber comme morts sur place, et la rauque bacchanale les emporte, toujours, dansant et tournoyant, dans une pièce voisine où parfois, sous le triple excitant de la promiscuité, de l’ivresse et des ténèbres, se passent des scènes à faire grincer les dents d’horreur à tous les impassibles dieux de l’Afrique.

Voilà le vaudoux classique. Voilà le secret de ce mystérieux pouvoir qui, en 1791-92, transformait, dans l’espace d’une seule nuit, les esclaves indifférens et disséminés de la veille en masses furieuses, et les lançait presque désarmés dans ces combats invraisemblables où la stupidité du courage déconcertait la tactique, et où la chair nue finissait par user le fer. L’ascendant que les chefs du vaudoux exercent sur les autres membres de la secte est en effet sans bornes. « Il n’est aucun de ces derniers, dit l’écrivain cité plus haut, qui ne préférât tout aux malheurs dont il est menacé, s’il ne va pas assidûment aux assemblées, s’il n’obéit pas aveuglément à ce que Vaudoux exige de lui. On en a vu que la frayeur avait assez agités pour leur ôter l’usage de la raison, et qui, dans des accès de frénésie, poussaient des hurlemens, fuyaient l’aspect des hommes et excitaient la pitié. » La croyance au vaudoux s’est d’autant mieux maintenue, que, dans les idées religieuses des masses noires et même d’une partie des mulâtres, elle n’exclut pas l’orthodoxie catholique, pour laquelle le peuple haïtien professe une ferveur très sincère, sinon très éclairée. Nous dirons plus tard à quel déplorable clergé ou soi-disant clergé se trouve dévolue la mission de débrouiller le chaos qui s’est fait dans ces imaginations africaines. En attendant, cette soif de merveilleux qu’on retrouve au premier et au dernier terme de toute civilisation en prend ici des deux côtés. Dans les campagnes surtout, on voit souvent dans la même case les baptêmes chrétiens alterner avec les funérailles mandingues ; sur plus d’une poitrine, le scapulaire catholique pend au même cordon que le maman-bila[1] des sorciers nationaux, et la vieille négresse qui redoute les visites d’un zombi[2] va indifféremment demander des messes au curé et des conjurations aux papas vaudoux. Soit qu’ils subissent eux-mêmes l’influence du milieu où ils vivent, ou soit calcul., ce qui est plus probable, les papas tombent tous les premiers dans ces pléonasmes de la dévotion nègre, témoin frère Joseph, le prophète, le sorcier, le caprelata de l’armée d’Accaau, et que nous retrouverons dans

  1. Petites pierres calcaires contenues dans un sachet.
  2. Fantôme, revenant (corruption créole du mot ombre). Il n’y a pas long-temps que sur un palmier voisin du palais de Soulouque, on a vu apparaître un zombi ; d’autre, disent une vierge habillée de blanc.