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italiens commençaient à s’inspirer déjà des exemples de l’art français. Lorsque Gérard Audran eut à son tour passé quelques années en Italie, les estampes qu’il y avait produites achevèrent d’épurer le goût des artistes ; malheureusement ce progrès ne s’accomplit que dans la partie matérielle de leurs travaux. On mit plus de modération dans le faire, on se préoccupa moins exclusivement des tailles brillantes : après avoir sacrifié au plaisir d’étonner le mérite de suivre la raison, on revenait au bon sens et aux moyens qu’il conseille, sans songer pour cela à reproduire de meilleurs ouvrages ; ou, si par hasard quelque graveur en avait l’idée, il y renonçait bien vite pour céder à ses entraînemens habituels. Pietro Bartoli, qui s’était rendu à Mantoue avec l’intention de graver les peintures de Jules Romain au palais du T[1], s’empressa de choisir, de préférence à tout le reste, un morceau de perspective curieuse qui décorait une antichambre du palais ; Carlo Cesio et Venturini ne trouvaient rien de mieux à faire dans Rome que de copier, l’un les cariatides de la galerie Farnèse peintes en grisaille par Annibal Carrache, l’autre la Chaire de saint Pierre soutenue par les docteurs de l’Église, œuvre plus ridiculement conçue et d’une exécution plus vicieuse encore que les autres sculptures du Bernin. Il n’était pas jusqu’aux graveurs d’architecture qui ne crussent devoir prendre pour modèles les monumens de l’art contemporain : Baptiste Felda dédiait au pape Alexandre VII une suite de Vues de Rome où figuraient en première ligne les fantaisies extravagantes de Malderno et de Borromini ; un autre dessinait et gravait un choix de fontaines et d’obélisques modernes, c’est-à-dire ce que la ville éternelle offre de plus détestable en ce genre. L’art était envisagé à peu près au même point de vue à Gênes, à Florence, à Bologne et à Naples. Les graveurs de toutes les écoles d’Italie semblaient, à l’exemple des graveurs romains, dédaigner les chefs-d’œuvre des anciens maîtres, et n’estimer que les productions du XVIIe siècle. Les compositions de Lanfranc, de Carle Maratte et d’autres peintres de la décadence étaient incessamment reportées sur le cuivre et livrées à l’admiration du public, jaloux de les revoir sous un nouvel aspect. Plusieurs de ces estampes sont, il est vrai, fort supérieures aux tableaux ; et sans parler de celles que l’on doit au burin d’artistes français, ou pourrait en citer quelques-unes de Bartoli où l’imitation assez heureuse de la manière de nos graveurs tempère et dissimule les défauts de la peinture originale : Saint Pierre délivré de prison et la Décollation de saint Paul seraient peut-être les meilleurs spécimens de ce mode d’interprétation.

Les guerres qui désolèrent l’Allemagne pendant une grande partie

  1. On sait que cet édifice tire son nom de sa forme même, qui rappelle celle de la lettre T. Il fut construit et orné de peintures à fresque par Jules Romain, qui s’était réfugié à Mantoue après l’aventure du livre des Sonnets, et que Frédéric de Gonzague avait chargé de la direction de tous les travaux d’art qui s’exécutaient dans ses états.