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tableaux, et changer de sentiment, pour ainsi dire, aussi souvent que de modèle. Après avoir débuté ici par sa Sainte Famille d’après Raphaël, planche d’un aspect sévère et d’un dessin tout italien, il donna successivement la Madeleine, la Famille de Darius, le Christ aux Anges, traductions étranges, où la forme fastueuse de Lebrun se convertit en grandeur, sa couleur lourde et souvent criarde en tons forts et lumineux, où les défauts des originaux sont corrigés et la somme de mérite accrue par des moyens qui n’en laissent pas moins transparaître le caractère particulier et essentiel. Édelinck, en interprétant les œuvres de Lebrun, ne leur ôte ni leur signification ni leur allure ; il leur donne seulement plus de naturel et de vraisemblance, comme lorsqu’il grave d’après Rigaud, dont la pompe et le flamboyant deviennent, sous son burin, de la richesse et de la verve. S’agit-il, au contraire, de rendre l’effet d’une peinture calme et où l’habileté se montre mesurée ? ce talent si hardi, si brillant tout à l’heure, s’empreint de sérénité, et produit, dans le style le plus pur, les portraits d’Arnauld d’Andilly, de Santeul, ou celui de Philippe de Champagne, objet de la prédilection de l’auteur et l’un des chefs-d’œuvre de la gravure.

À l’époque où Édelinck arriva à Paris, Nanteuil, plus âgé que lui de vingt années et depuis long-temps célèbre, occupait aux Gobelins un logement voisin de celui où s’installa le nouveau venu. Il y aurait lieu de s’étonner de cette apparence d’égalité dans les faveurs accordées à deux hommes alors si inégaux en réputation et en mérite, si l’on ne se rendait compte du dessein dans lequel ils étaient réunis et de l’esprit même de l’institution. Dans cet établissement des Gobelins, les choses se passaient à peu près comme au temps de Laurent-le-Magnifique dans les jardins de Saint-Marc à Florence. Les artistes en renom se trouvaient mêlés aux débutans ; on ne travaillait pas en commun, mais on travaillait assez près les uns des autres pour que l’expérience des maîtres profitât incessamment aux disciples, et que l’émulation, excitée par l’exemple, entretînt chez tous la continuité des efforts. Le nouvel art français, inauguré dès le siècle précédent dans des œuvres estimables, venait d’être honoré par des peintres de premier ordre, Poussin, Claude Lorrain, Lesueur ; mais les deux premiers avaient vécu isolés et loin de la France ; le troisième, usé par le travail et la douleur, était mort comme eux sans laisser d’élèves, ni par conséquent de tradition. Il semblait urgent dès-lors, pour perpétuer la gloire de l’école, de rapprocher des talens achevés les talens plus jeunes et encore incomplets, et de les diriger tous vers un même but dans une certaine communauté de travaux. Colbert en conçut le projet, et le réalisa en choisissant parmi les peintres, les sculpteurs et les graveurs, tout ce qu’il y avait alors d’artistes consommés ou paraissant déjà dignes d’encouragement. Il les rassembla aux Gobelins, et leur donna