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superflu d’ajouter que le prétendu original ne put être reconnu. Mais le portrait passa de main en main et parut agréable ; on en demanda le prix à l’auteur, qui n’eut garde de se montrer exigeant, et quelques-uns de ces jeunes gens, séduits par la modicité de la somme, offrirent à Nanteuil de poser devant lui. Les premiers dessins achevés à la satisfaction des modèles, d’autres étudians voulurent avoir leurs portraits et les montrèrent à leurs familles et à leurs amis ; — cela valut au jeune artiste des travaux plus fructueux. De proche en proche, ses relations s’étendirent ; il en vint bientôt à être chargé de reporter sur le cuivre les dessins qui lui avaient été commandés par des membres du parlement et des personnages de la cour ; enfin le roi, dont ensuite il grava le portrait jusqu’à huit fois dans des formats différens, lui accorda dès-lors plusieurs séances, au bout desquelles Nanteuil reçut le brevet d’une pension et le titre de dessinateur du cabinet[1].

Louis IV ne se contenta pas de récompenser un talent déjà hors ligne ; il voulut aussi encourager par des mesures générales le développement de l’art lui-même, qu’il déclara « libéral[2]. » Il permit aux graveurs de l’exercer sans être soumis « à des maîtrises, ni assujettis à d’autres lois qu’à celles de leur génie, » et, sept années plus tard, l’établissement des Gobelins devint une véritable académie de gravure. Tandis que Lebrun, qui en eut le premier la direction générale, y réunissait des peintres, des sculpteurs, et faisait exécuter, d’après ses compositions, les tapisseries des Élémens et des Saisons, Sébastien Leclerc présidait aux travaux entrepris, aux frais du roi, par de nombreux graveurs français et étrangers.

Édelinck, l’un de ceux-ci, avait été appelé en France par Colbert. Né à Anvers et contemporain des derniers élèves formés par les disciples de Rubens, il se distinguait comme eux par la vigueur de la touche et par la science de l’effet ; une fois à Paris, il avait ajouté à ces qualités flamandes les qualités propres à notre école, suavité d’exécution, style sobre et ferme, et il s’était bientôt placé au premier rang des graveurs de l’époque. Doué d’une souplesse d’intelligence et d’une pénétration surprenantes, il savait s’assimiler complètement, pour l’améliorer quelquefois, la manière des peintres dont il gravait les

  1. La plupart des dessins de Nanteuil sont exécutés aux trois crayons, à peine renforcés dans certaines parties de légères teintes de pastel. La couleur en est discrète et fine ; elle offre beaucoup d’analogie avec la couleur de ces portraits français du XVIe siècle, conservés aujourd’hui au cabinet des estampes de la bibliothèque de Paris et à la bibliothèque Sainte-Geneviève. Nanteuil a sans doute dessiné beaucoup de portraits qu’il n’a pas gravés ensuite, mais il n’en a gravé que bien peu qu’il n’ait préalablement dessinés. Il est à remarquer aussi que dans son œuvre, composé de plus de deux cent cinquante pièces, on ne trouve que sept thèses ou morceaux historiques, et (particularité plus singulière) qu’un seul portrait où les mains ne soient pas cachées.
  2. Édit de Saint-Jean-de-Luz, 1660.