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un vaste champ est ouvert aux amateurs de la chasse à courre ; mais il faut de bons chevaux pour suivre la bête sur un terrain coupé de torrens, de fondrières et d’impénétrables fourrés. Le cerf, épouvanté par le son du cor, qu’il entend pour la première fois, fuit droit devant lui, et la chasse devient une véritable course au clocher. Il y a un moyen moins fatigant de venir à bout de ce grand quadrupède : c’est ce que les Anglais appellent still hunting et les Canadiens chasser à la muette. On reconnaît sur la neige les traces de la bête, on les suit, on s’approche en silence, on appuie sa carabine sur une branche pour mieux ajuster, et on fait feu ; mais, si le temps est calme, si le bruit du vent ne couvre pas celui des pas du chasseur, on perdra sa peine. Le cerf, comme le chevreuil, comme l’orignal, est toujours inquiet, toujours craintif, même au milieu des solitudes, où les armes à feu retentissent rarement ; il entend à la distance de cinq cents pas le mocassin de l’Indien se poser à terre, et prend aussitôt la fuite. Quant à l’ours noir, encore assez commun au Nouveau-Brunswick, il se retire peu à peu du bord des lacs, où l’émigration étend ses cultures ; au lieu de disputer le terrain aux émigrans, il s’enfonce dans la sombre région de l’ouest. Comme il est surtout frugivore, la présence des troupeaux et des volatiles domestiques ne l’attire pas, et il laisse le loup, le renard et le glouton exercer leurs brigandages dans les basses-cours et les bergeries.

Aux plaisirs de la chasse se joignent ceux de la pêche et des excursions en bateau (fishing and boating). Ces deux exercices constituent une branche importante du sport au Canada. Pour peu qu’on aime à conduire un canot, à voguer à la voile, à fendre l’eau avec un aviron, on comprendra quelles délicieuses promenades offrent ces rivières sans nombre bordées de saules et d’érables, les rives sans fin des grands lacs, semées d’îles boisées, découpées d’anses solitaires où l’on peut jeter l’ancre et camper à son aise. Naviguer sur ces mers intérieures, c’est mener la vie de Robinson, réaliser les rêves de son enfance. Là, chacun a le droit de prendre le poisson comme il l’entend, à la ligne de fond ou à l’épervier. La pêche d’hiver se fait au lac Huron comme au Groenland, en coupant dans la glace de grands trous où on laisse tomber sa ligne ; en été, on se sert du harpon. Les plus belles pièces que l’on prenne dans ces eaux dont on ne trouve pas le fond, — le lac Huron, au dire des Canadiens, a neuf cents pieds de profondeur, — sont des saumons du poids de cinquante à soixante livres. On y harponne aussi des esturgeons de quatre à cinq pieds de long, véritables monstres vieux de plusieurs siècles, dont le corps est hérissé de tubercules. L’esturgeon doit être considéré comme le roi des fleuves et des lacs américains. Pendant les chaudes et longues soirées de juillet, il bondit vigoureusement dans les remous, saute au-dessus du courant à la