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Il faut reconnaître cependant que les principales colonies anglaises vont se trouver plutôt dans la condition d’états alliés et dépendans que dans la condition de colonies. Il est incontestable que leur indépendance en doit résulter le jour où elles ’auront acquis un développement suffisant. Cette perspective n’a point échappé aux hommes d’état anglais, et ne les a pas arrêtés. « Ce sera un jour la gloire de l’Angleterre, a dit lord John Russell au parlement, d’avoir fondé des peuples dignes de la liberté, d’avoir fait leur éducation politique et de les avoir conduits par la main jusqu’à l’indépendance. » Il y a quelque grandeur dans un pareil langage, et les républiques futures de l’Australie et du Cap feront plus d’honneur à l’Angleterre que les républiques cisalpine, cispadane et parthénopéenne, ou les expéditions de Risquons-Tout et de Chambéry n’en ont fait à la France. Les Anglais prévoient sans la moindre alarme le jour où les colonies se sépareront de la métropole. L’expérience leur a appris que le commerce d’un pays libre est plus profitable que celui d’une colonie. Après la paix de 1786, il n’a pas manqué de politiques à la façon de M. Ledru-Rollin pour crier que l’Angleterre était ruinée, parce qu’elle avait perdu ses colonies d’Amérique, et dix ans après les États-Unis étaient déjà pour l’Angleterre un marché bien supérieur à ce qu’ils étaient avant la séparation. L’Angleterre fait aujourd’hui avec les États-Unis plus d’affaires en six mois qu’elle n’en a pu faire pendant les cent cinquante années de leur existence comme colonies. Si quelque magicien venait offrir d’établir trois millions de cultivateurs en Australie à la condition de leur accorder une entière indépendance, il n’y aurait qu’une voix en Angleterre pour accepter ce marché ; et pendant que M. Ledru-Rollin, drapé dans ses voiles funèbres, rendrait le plus lugubre de ses oracles, Manchester serait illuminé.

Il est vrai que les Anglais poussent l’aveuglement jusqu’à ne pas s’apercevoir qu’ils sont tous insolvables, et que la banque d’Angleterre aurait fait banqueroute depuis deux ans sans le milliard que les aristocrates du continent ont déposé dans ses caves après la révolution de février ! Comme il est probable que le retrait de cet argent n’est pas étranger à la hausse des fonds publics sur toutes les places de l’Europe, on doit s’attendre à ce que le gouvernement anglais et la banque de Londres soient incessamment mis en faillite ! Tel est le résumé des idées émises par M. Ledru-Rollin sur le crédit en Angleterre et sur l’organisation de la banque anglaise. Nous en partagerions le ridicule en les discutant ; il suffira de citer l’axiome sur lequel roulent tous les raisonnemens du démagogue : « L’Angleterre est arrivée au dernier terme de la perfection, tandis que la France est riche des perfectionnemens qu’elle peut encore réaliser. » Ce qui revient à dire que le pauvre a pour fortune tout ce qu’il n’a pas, mais qu’il pourrait avoir,