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Le Génie du Christianisme, en sortant du port, trouva un temps radieux, et, le vent en poupe, il put déployer toutes ses couleurs. Au souvenir de pareils jours, nous pardonnerions volontiers à l’écrivain des Mémoires d’Outre-Tombe quelques monumens même un peu vifs de cet orgueil qui nous choque partout ailleurs. Ce doit être en effet une si délicieuse impression pour un homme d’un mérite véritable que de voir éclater au dehors, se propager de bouche en bouche le secret de son génie qu’il renfermait depuis tant d’années dans le fond d’une ame agitée ! Tant d’incertitude, une telle alternative d’enthousiasme et de découragement, ont dû précéder le moment ineffable où le jugement du public vient confirmer les suggestions inquiètes de l’amour-propre et de la conscience ! Ces regards d’admiration subitement tournés vers l’homme inconnu hier, aujourd’hui célèbre, doivent lancer comme autant de flammes qui portent l’incendie dans ses veines ! Joignez-y, pour l’auteur d’Atala, les premiers jours du retour de l’exil, les charmes d’une société choisie où son cœur ne resta pas long-temps indifférent. Tenez compte surtout de ce fait singulier, qu’au premier rang parmi ses admirateurs il fallait compter la religion reconnaissante, en quelque sorte, de l’éclat qu’il lui prêtait, qu’ainsi l’encens qu’on lui brûlait avait le parfum du sanctuaire et que Dieu même semblait se mettre de la partie, et vous comprendrez qu’en arrivant à cette période de sa vie, nous étions disposé à ouvrir, en quelque sorte, à l’exaltation d’une fierté permise une assez raisonnable carrière.

Dans le premier moment même (telle est la simplicité d’un sentiment vrai), nous avons cru nous être trompé. Le succès d’Atala, de René, du Génie du Christianisme nous a paru modestement raconté. Sur l’effet immédiatement produit par cette diversion puissante qui prit à rebours la philosophie du XVIIIe siècle et la désarçonna, M. de Chateaubriand ne nous dit rien que de vrai et d’assez convenablement placé dans sa bouche. Il est parfaitement vrai que « le heurt donné aux esprits par le Génie du Christianisme fit sortir le XVIIIe siècle de l’ornière et le jeta pour jamais hors de sa voie. » Nous dirons tout à l’heure deux mots de la voie nouvelle où il a fait entrer le XIXe ; mais le heurt, ou plus simplement le choc, est incontestable et atteste la force de la main robuste qui l’imprima. À la singularité du terme près, l’image est juste et simple. Il semble que l’auteur ait compris qu’un grand résultat se passe de beaucoup de paroles, de même qu’une courte inscription sied aux grands monumens. Le tableau de la société au milieu de laquelle tomba le succès inattendu de ce livre original est peint avec la même vérité. Les portraits du petit nombre d’amis qui se groupèrent autour de l’auteur avec une sorte de culte sont finement touchés. Et quoique nous ayons peu de goût, nous l’avons dit, aux publications de correspondance, quoique ces secrétaires ouverts devant le public nous inspirent même peu de curiosité, les lettres de