Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/989

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toujours les hommes du même métier, souvent tous les marchands d’une ville, souvent même tous les habitans d’une paroisse sans distinction de profession ni de fortune. La loi commune (common law) a de tout temps interdit à toute réunion, compagnie ou société, de prendre, en matière de commerce ou de travail, aucun règlement de nature à léser ou gêner un intérêt privé.

On n’est pas tenu, au bout de six mois, d’être au courant de l’histoire, des mœurs et des institutions d’un peuple : il est vrai qu’on n’est pas tenu non plus d’en écrire. M. Ledru-Rollin s’étonne que les fortunes commerciales ne tendent pas à s’égaliser en Angleterre malgré la loi d’égal partage à laquelle elles sont soumises, et il en donne pour raison, qu’une simple règle de droit civil, — il aurait pu ajouter, et d’arithmétique, — doit être impuissante contre le principe d’attraction qui domine dans ce pays aristocratique. Voilà une explication qui ressemble fort à celle que donne des pouvoirs de l’opium le malade imaginaire. La raison de ce fait était simple à trouver : si les fortunes commerciales, malgré la loi du partage égal entre tous les enfans, se reconstituent sans cesse sur une échelle si considérable, c’est que chacun poursuit la carrière paternelle, et trouve dans l’expérience acquise, dans des relations bien établies et éprouvées, dans des sympathies héréditaires, un appui solide et des facilités inconnues au négociant qui débute. Une maison de commerce, une manufacture, se transmettent comme une pairie. À Liverpool même, dont la grandeur est l’œuvre des soixante dernières années, on peut citer des maisons qui ont un siècle et demi d’existence ; on en trouverait de plus anciennes encore à Bristol. Il est dans la Cité telle maison qui peut faire remonter sa filiation commerciale jusqu’à quelqu’un des premiers souscripteurs de la banque d’Angleterre. Dans ce pays si aristocratique, on est plus fier d’être négociant, d’être brasseur de père en fils, que d’avoir déserté le bureau paternel pour se faire journaliste ou avocat, ou pour se jeter dans quelqu’une des professions prétendues libérales, comme s’il en était une seule qui exclût l’intelligence, l’éducation et le savoir. L’ambition du négociant anglais est de fonder une maison qui se perpétue en s’agrandissant après lui, et dont la signature arrive un jour à être connue dans les deux mondes. Un spirituel roman de Dickens roule tout entier sur ce faible des commerçans anglais, et le principal personnage, successeur lui-même de son père, n’a d’autre rêve que la naissance et l’éducation d’un fils pour qu’on puisse toujours lire sur la même partie du même angle de la Cité la raison commerciale Dombey père et fils. Si tant e considération s’attache en Angleterre à la richesse, cela tient surtout à ce qu’elle est habituellement le résultat du travail de plusieurs générations, à ce qu’elle est presque toujours un gage assuré de l’honorabilité d’une famille. Lequel a au fond les sentimens