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la vie ! Mais ce n’est pas seulement pour ces magnifiques inspirations de l’heure des batailles que j’aime mon état, je l’aime surtout pour ces pensées pleines à la fois de calme, d’énergie et de douceur, qu’il donne aux ames austères à maint obscur instant de la vie. Ainsi, je ne suis jamais sorti de la caserne sans me sentir l’esprit rafraîchi et le cœur allégé. Qu’y avais-je fait ? Je m’étais occupé de ces soins dont les oisifs se moquent et dont les délicats nous plaignent. J’avais visité les chemises et les souliers de mes hommes, j’avais goûté leur soupe, je n’étais assis sur le pied d’un lit, et j’avais rendu la justice ; j’avais été le chef de famille enfin, car la famille se retrouve dans l’armée. Elle y existe même avec plus de force que dans la société ; elle y existe avec l’autorité du chef, le respect pour les aînés ; elle y existe aussi avec des sentimens de vraie et vive tendresse. Jamais un soldat ne m’a quitté sans venir me dire adieu, et j’en ai vu bien peu dont la main n’essuyait pas alors quelque larme furtive. J’aime l’affection militaire, parce qu’elle est toujours dans la vérité. Nul ne promet des regrets éternels à son camarade ou à son chef : chacun sait que son oraison funèbre n’excédera pas quelques courtes phrases accompagnées de juremens mélancoliques, qui reviennent de loin en loin tantôt entre deux bouffées de pipe, tantôt entre deux gorgées d’eau-de-vie ; mais ces phrases se composent de mots sincères. Je n’ai jamais désiré, pour ma mémoire, d’autre hommage que ces paroles de soldat.

Je parle en ce moment de l’état militaire comme un homme qui porte l’uniforme ; mais il me semble que, parmi les gens en habit noir, tous ceux-là doivent penser comme moi, qui ne désirent pas voir la France devenir un cadavre destiné aux expériences des docteurs en révolutions. Notre nation a cela de curieux, qu’elle est douée au plus haut degré des deux esprits les plus opposés, de l’esprit révolutionnaire et de l’esprit militaire. Vous avez remarqué aujourd’hui l’excellente tenue de ce caporal qui est venu boire l’absinthe avec nous. C’est un Parisien. En 1848, il a fait des barricades et tiré sur les gardes municipaux. Il s’est révolté pour être libre, pour jouis de ses droits, et la révolution accomplie, il a usé du droit de s’engager que la tyrannie ne lui contestait pas. C’est maintenant un des meilleurs sujets de ma compagnie. Si demain je l’avais à Paris sous mes ordres, je le ferai tirer sur ses frères avec autant d’entrain qu’il en mit à tirer sur tous ces fantômes blancs de la montagne et de la plaine. Il semble dans notre pays que la casaque du soldat brûle tout ce qu’il y a de mauvais chez ceux qui l’endossent. Assurément une des causes principales de ce désordre dont pour le moment nous désespérons de sortir, c’est l’hostilité rencontrée l’esprit militaire dans certaines régions de la société.

Je les connais ceux qui ont blasphémé la guerre ; je les connais ceux qui ont maudit l’uniforme, et qui l’auraient, morbleu, bafoué, si on