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Perse et aux états de l’Asie occidentale. Les étoffes et les produits de fabrique anglaise pénètrent également par le moyen d’une contrebande très active et très étendue dans les provinces du Caucase et jusqu’au sein de la Russie. Toutes ces marchandises sont payées en carbovanz russes. Toutes les fois que cette pièce de monnaie russe obtient à Constantinople un cours plus élevé que la valeur réelle, on l’y voit affluer. Qu’arrive-t-il ? C’est que le gouvernement turc en est réduit à faire, en Europe, le retour en papier des marchandises fournies par contrebande à la Perse, aux états limitrophes, à la Russie. Le commerce d’Odessa et de toute la Russie méridionale, profitant de cette valeur exagérée de la monnaie étrangère en Turquie, se sert alors de la banque de Constantinople pour faire passer des fonds en Europe. Des spéculations s’organisent pour acheter des piastres avec des carbovanz, et pour demander, des piastres à la main, des mandats à la banque. C’est ainsi que les traites fournies par cette banque se sont élevées dans les derniers temps à la somme annuelle de plus de 400 millions de piastres. Les exportations de la Turquie lui procurent sans doute des valeurs avec lesquelles elle couvre ses correspondans de Londres ; mais ces valeurs sont loin d’être suffisantes, bien qu’il soit constant que, dans les bonnes années, les exportations balancent l’importation. On comprend les raisons de cette insuffisance. Le montant des traites que le gouvernement turc doit fournir au commerce, au lieu de n’être que la différence entre l’importation et l’exportation de la Turquie, s’augmente de tout ce que la Perse et une partie de la Russie doivent aux négocians de l’Occident. La banque de Constantinople est donc, depuis quelque temps, obligée de couvrir ses correspondans par l’envoi de numéraire qu’elle surpaie. De là la disparition de presque toutes les monnaies nouvelles d’or et d’argent. En 1848, année d’ailleurs déplorable pour le commerce de toute l’Europe, la perte a été de 14 millions de piastres. C’est là une situation intolérable qui pèse tristement sur les conditions du budget, et de tous les vices du système financier de la Turquie, c’est peut-être celui qui exige les remèdes les plus énergiques et les plus prompts. Hâtons-nous de dire que le divan n’a point d’illusion à cet égard, et qu’une réforme du numéraire plus radicale que les précédentes est dès à présent dans ses intentions. Le reproche qu’il aura encouru, ce sera seulement d’avoir trop tardé.

Puissent donc les ministres actuels du sultan mettre à profit le calme qui règne aujourd’hui dans toutes les provinces de la Turquie ! Il ne s’agit plus seulement de montrer des sentimens d’équité et de tolérance ; il est temps de faire entrer la justice dans l’organisation des finances, de condescendre à pratiquer modestement l’économie politique. Il faut accroître dans une proportion considérable le mouvement de la propriété et du commerce, pour augmenter d’autant les revenus de l’état. Le budget de l’année courante présente un déficit d’environ 110 millions de piastres ; d’autre part, les routes à ouvrir, l’instruction publique, le service des mines, des eaux et forêts, l’entretien des forteresses, exigent des dotations spéciales qui ne figurent point au budget. Ces dotations ne peuvent pas être portées à moins de 100 millions de piastres ; c’est donc une somme de 210 millions que la Turquie doit dès à présent chercher dans de nouvelles ressources. Ces ressources, le divan peut les demander soit à une nouvelle émission de papier-monnaie à 6 pour 100, soit à l’emprunt, soit enfin à des réformes qui élèveraient tout d’un coup d’une manière sensible le