Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/928

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vivant, en vérité ; ce ne sont que les ombres errantes et inhonorées des succès d’autrefois. Le roman expie aujourd’hui dans l’épuisement ses folies passées, et voyez-le tout près de perdre même cette place où il a régné, au bas du journal. Ce qu’on peut voir de la poésie contemporaine, c’est moins encore, et le même jugement pourrait atteindre le théâtre. Le Théâtre-Français lui-même ne fait point exception. Il parait se former dans la maison de Molière une petite couvée de petits chefs-d’œuvre qui visent à vous donner la petite monnaie du rare esprit de M. Alfred de Musset. Ce qui y fleurit dans un plein et naïf contentement de soi, on ne le sait trop ; ce n’est ni comédie ni proverbe, c’est Une Discrétion, c’est Héraclite et Démocrite. La première de ces ébauches est une façon de libertinage maniéré en vaudeville, où les femmes se jouent en cinq points à l’écarté, une petite gravelure qui voudrait être leste, et qui n’est que vulgaire. J’ignore pour ma part ce que l’auteur d’Héraclite et Démocrite a voulu. faire, n’ayant aperçu quoi que ce soit dans des scènes qui échappent à toute appréciation. Tout cela simule l’esprit, singe la poésie, grimace l’élégance, et est à la vraie comédie ce que nos modernes petits vers sont à la véritable poésie. Il y a dans ces divers efforts une teinte uniforme de déclin, encore plus saillante au milieu de la stagnation générale de la pensée littéraire. Est-ce à dire que l’art en lui-même soit près de périr ? Est-ce à dire que ces grandes choses, l’observation, l’inspiration soient mortes, et qu’il nous faille mener leur deuil ? Il n’en est pas tout-à-fait ainsi. Ce qui meurt, c’est un certain esprit littéraire qui a régné sur nous, qui a jeté le trouble dans toutes les notions, qui est arrivé à être une véritable corruption publique, et dont l’action a été aussi funeste à l’art lui-même qu’à la société. C’est sous ce rapport qu’il est vrai de dire que nous sommes les témoins d’une période qui s’achève. Nouvelle et vivante application de la loi de transformation qui régit le monde ! Oui, cette heure suprême et solennelle du milieu du siècle est pour nous comme la marque visible du passage d’une ère pleine de destructions à une ère qui peut être glorieusement employée à reconstruire dans le domaine intellectuel comme dans le domaine moral, comme dans le domaine politique quand on est sorti de l’ordre, le progrès est d’y rentrer, a-t-on dit. Au point de vue littéraire, la vie nouvelle et le progrès sont à une condition, ils sont au prix de la réhabilitation du bon sens, du goût, de la rectitude morale, de toutes ces qualités, en un mot, qui ont subi de notre temps une sorte de déroute, et ici les intérêts de la société et de la littérature se trouvent heureusement confondus.


CHARLES DE MAZADE.