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par la force d’un principe immortel, d’une vérité divine révélée au monde. Or,c’est nous, il me semble, qui sommes encore cette société formée à l’ombre de la croix pour remplacer la société païenne. Le christianisme est avec nous ; il domine le monde moderne dont il est l’ame, et son règne n’est point fini sans doute. L’auteur de l’Ère des Césars, est trop bon chrétien, j’imagine, pour croire que l’efficacité du christianisme soit épuisée, et qu’il ne suffise pleinement à imprimer un autre caractère à notre civilisation. Dès-lors, que deviennent les analogies ? Les phénomènes politiques se lient à l’ensemble de la vie morale d’une époque, et on ne peut les séparer. Le césarisme romain dont parle M. Romieu est la forme du pouvoir dans une société dont le principe est épuisé. La thèse philosophique et historique de M. Romieu, si elle n’était une fantaisie, ne serait autre chose que la thèse du socialisme, qui se proclame le christianisme nouveau et prononce la déchéance de la vieille société, ainsi qu’il l’appelle. C’est un argument pour M. Pierre Leroux, qui épouise son éloquence, comme on sait, à nous prouver que nous sommes les païens, les vrais païens, tandis que les initiés du socialisme sont les saints et les apôtres de l’église de l’avenir. Ici, du moins, l’analogie serait complète. Ce ne sont point heureusement des rapprochemens de ce genre que tente l’imagination de M. Romieu, dût-il être accusé pour cela de peu de logique. Quant à la signification plus pratique, plus délicate, plus personnelle, qu’on a voulu attribuer à l’Ere des Césars, c’était évidemment une injure. Il serait trop peu flatteur, en vérité, d’offrir - à. celui qui représente aujourd’hui pour la France quelque chose de plus qu’un fait - le rôle de l’un de ces césars romains mis à l’enchère des phalanges prétoriennes. Sans être taxé d’optimisme, il est permis de dire que la France et l’homme valent mieux que cela, et que ces noms sont unis dans de trop immortels souvenirs pour se retrouver ensemble dans de hasardeuses combinaisons. L’auteur a sur ce point, sur la différence qu’il y aurait pour l’héritier de l’empereur entre continuer et prendre, entre fonder et s’établir, quelques phrases savamment obscures qui dénotent qu’il est plus facile de créer par l’imagination ce que j’appelais un mirage de l’histoire que de dénouer simplement, pratiquement, les difficultés épineuses de la réalité. M. Romieu, il faut bien l’avouer, n’a point trouvé la solution que nous cherchons. Ce qui vaut mieux dans l’Ère des Césars, c’est par momens la verve avec laquelle l’auteur décrit les faiblesses, les passions, les préjugés de notre époque, et montre l’esprit de désordre empruntant toutes les formes, prenant tous les masques, se glissant par toutes les issues et se créant comme d’imprenables citadelles au cœur même de la société ; — c’est l’accent net et ferme avec lequel il expose le mal de la civilisation, chasse les illusions et ravive le sentiment d’un péril incessant. Il y a là même une utilité réelle et directe : si quelque chose est fait pour imposer aux forces conservatrices de la société un accord sérieux et sincère où nulle fantaisie de dissidence ne doive trouver place, n’est-ce point la pensée toujours présente d’une épreuve commune et de catastrophes imminentes ? Le livre de M. Romieu a du moins cet intérêt de rendre sensibles dans leur palpitante gravité les symptômes contemporains, — symptômes qui peuvent se transformer demain-en réalités terribles.

La révolution de février, qui a fait éclater cette situation dans ce qu’elle a de