Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/907

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faire le tour de la hutte pour m’assurer de nouveau qu’elle n’avait aucune autre issue ; mais je fus bientôt arrêté. Bâtie dans une fissure et comme incrustée dans le rocher, elle n’avait de libre accès que sur le devant. Je venais de gravir sans but précis les premiers ressauts de la roche à laquelle s’appuyait la cabane, et mon regard en fouillait machinalement les anfractuosités, quand, à travers la brume rendue plus épaisse par l’approche de la nuit, je crus voir une forme noire monter, atteindre le sommet du roc, puis disparaître, comme si elle eût glissé au revers de la pointe qui surplombait à la grève. Cependant l’apparition avait été si rapide, que je doutais moi-même de sa réalité. Je cherchais le moyen de m’avancer davantage, dans l’espoir de m’éclairer, quand les coups frappés à la porte de la hutte me rappelèrent. Enhardis par la présence du prêtre, les paysans commençaient à l’ébranler ; quelques coups de pic donnés dans la baie achevèrent de dégager le battant de chêne, qui fut violemment repoussé à l’intérieur. Un jet de fumée et d’étincelles força d’abord les paysans à reculer, mais l’entrée se trouva libre presque aussitôt. Le recteur se hasarda le premier ; je le suivis jusqu’au foyer, où nous trouvâmes Judok étendu dans une mare de sang ; néanmoins il respirait encore. Le prêtre m’aida à le porter au dehors, tandis que les autres se rendaient maîtres du feu. La charpente et tout ce qui donnait prise à la flamme avait été déjà consumé, il ne restait plus que quelques poutrelles qui achevaient de brûler. Outre le toit de la cabane, qui avait complètement disparu, la plupart des meubles étaient réduits en cendres. Un lit clos, caché dans un enfoncement du rocher comme dans une alcôve de granit, avait seul échappé ; on y transporta le kacouss. Il avait repris quelques forces, et sa main droite s’était machinalement repliée vers sa poitrine. Le recteur y remarqua alors trois profondes blessures qui semblaient épuisées de sang. Il les examina un instant, puis, regardant Judok, dont les paupières à moitié entr’ouvertes laissaient voir un œil fixe et vitré ; il se retourna de mon côté avec un froncement de sourcils facile à comprendre. Je tressaillis malgré moi.

— Tout est-il donc fini ? demandai-je en français, afin de ne pas être entendu des paysans qui nous entouraient.

— J’ai vu trop d’agonies pour me méprendre sur les approches de la mort, répondit-il dans la même langue ; le malheureux ne passera point la nuit.

— Ne croyez-vous pas cependant qu’il faudrait réclamer les soins du médecin ?

— Faites et confiez le blessé à la prudence humaine, pendant que je le recommanderai à la clémence de Dieu.

— Écoutez, on dirait qu’il veut quelque chose.

Le cordier avait en effet rouvert les yeux ; il faisait un visible effort