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— Sur mon baptême ! le diable n’aurait pas avec elle le dernier mot, dit-il en me regardant ; voici bien la preuve que ce qu’il y a de plus infatigable sur terre, c’est la mauvaiseté d’une femme.

— Vous mentez, dit vivement Dinorah ce qu’il y a de plus infatigable, c’est la cravate d’un meunier.

— Pourquoi cela ? demandai-je.

— Parce qu’au dire de la tradition, reprit la paysanne en riant, elle peut, uns se lasser, tenir toujours un coquin à la gorge.

Guiller ne parut point se fâcher de l’application du proverbe populaire. — Allons, dit-il d’assez bonne grace, la fille est bien instruite et connaît toutes les sentences de malice. Depuis que le froment a du son, les piqueurs de meule ont été exposés à la médisance et au péché. Il n’y a que les petites saintes qui peuvent être filleules de la vierge Marie ! La figure de Dinorah prit une expression sérieuse. — Ne riez pas des choses bénites, Guiller Trois-Bouches, dit-elle presque sévèrement.

— Que le vieux Guillaume[1] me brûle si je ris ! répliqua ironiquement le meunier ; tout le monde ne sait-il pas bien que tu as eu pour marraine la mère de Jésus ?

— Assez ! interrompit la paysanne visiblement scandalisée ; mais le meunier n’était pas homme à s’arrêter dans une revanche, d’autant plus qu’il avait rencontré mon regard qui l’interrogeait.

— Monsieur ne connaît pas l’histoire ! dit-il d’un ton narquois. C’était après la naissance de Dinorah ; on l’avait conduite à l’église ; le bedeau venait d’apporter la coquille de sel ; et le recteur décrochait déjà son étole, quand on accourut dire que celle qui avait été choisie pour marraine venait de mourir. La chose parut un signe de malheur, ainsi que monsieur peut croire, et on se demandait comment l’innocente serait baptisée ; mais on vit tout à coup sortir de la chapelle de la Vierge une belle créature vêtue de dentelles et de soie, qui se proposa pour tenir l’enfant, et qui, de baptême achevé, disparut sans qu’on ait pu savoir comment. Certaines gens ont dit que c’était une étrangère du haut pays venue pour voir la mer, et qui avait aidé, par hasard, à faire une chrétienne ; mais ceux de Kercolleorc’h, qui ont plus d’esprit que le pauvre monde, ont assuré que c’était la vierge Marie elle-même, en raison de quoi ils ont appelé Dinorah la petite sainte.

Je regardai la jeune fille, et je lui demandai si ceci n’était point un conte inventé par le meunier.- Guiller sait mentir, même quand il s’invente pas ! répliqua-t-elle avec une brusquerie qui indiquait une conscience blessée ; mais, après, tout, sa moquerie ne peut rien changer dans ce que Dieu a voulu : pour rire des étoiles on, ne les fait pas tomber du ciel ! À ces mots, elle doubla le pas, malgré la cruche

  1. Nom que les Bretons donnent au diable dans leurs plaisanteries.