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très illustre nous était donnée, confession un peu arrangée pour l’effet assurément, mais nullement gênée par les convenances. Nous y pouvions suivre, sinon les événemens de sa vie dans toute leur vérité, au moins les mouvemens de son ame dans tout leur abandon. Il nous a semblé que cette étude, faite avec attention et sans partialité, en ajoutant des phénomènes nouveaux à la singularité des problèmes du jour, en éclaircissait assez la solution.

Voici un homme, en effet, qui a figuré au premier rang parmi les hommes de son temps. C’était peu de régner, par la magie du style, sur les imaginations. À cet empire moral, qui ne suffit pas toujours pour contenter ce qu’il y a d’âpre, de matériel, pour ainsi dire, dans l’ambition du cœur humain, il lui a été donné de joindre un jour le gouvernement d’un grand parti et d’un grand état. Poète, il a été ministre ; écrivain célébré par toute l’Europe, il a entendu, du haut de la tribune, le délicieux murmure des applaudissemens. De cette épreuve, il avait su sortir à temps pour que l’homme d’état ne nuisît pas trop, servît même en quelque mesure à l’homme de talent. Sa vie politique avait conservé une certaine unité, au moins apparente, qui de loin imposait au public. On aimait assez à le voir débuter par une résistance courageuse à l’acte sanglant d’un pouvoir qu’il regardait comme usurpateur, et finir congédié par un acte brutal d’un autre pouvoir qu’il avait défendu comme légitime. Cette double aventure le plaçait déjà devant son temps dans une heureuse perspective, où il n’avait qu’à attendre la postérité. D’ailleurs, nous aimions tous en lui l’enchanteur de notre jeunesse. Il avait réussi de son vivant à s’environner lui-même de cette vapeur brillante dont la poésie en général ne voile que les images glorieuses des morts. Un petit nombre, qui, par respect pour une grande renommée, ne se pressait pas d’en faire confidence, savait seulement et se disait à l’oreille combien de faiblesses puériles avaient terni l’éclat de son âge mûr, combien d’amertumes séniles s’étaient épanchées tout bas dans la dignité silencieuse de ses dernières années. C’est ce triste secret qu’il a jugé à propos de venir lui-même de sang-froid révéler à tout le monde. C’est lui qui a trouvé bon de nous faire connaître quels orages de vanité mesquine avaient troublé dans ses profondeurs l’ame mélancolique de René ; c’est lui qui s’est chargé de proclamer qu’il avait été d’abord émigré sans conviction, c’est-à-dire qu’il avait porté les armes contre son pays sans avoir l’excuse d’une foi chevaleresque dans la royauté, puis qu’il avait défendu le pouvoir royal jusque dans l’excès de ses vengeances avec une estime sceptique et une prévision indifférente de la république. C’est lui dont le jugement, universellement et témérairement sévère, cachant l’acharnement de la haine sous l’affectation du dédain, témoigne combien le christianisme avait laissé peu de traces