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L’histoire est muette. Toutefois il est permis de croire que, si Léonard eût achevé ce tableau, il l’aurait modifié dans plusieurs parties essentielles. Et cependant, tel qu’il est ébauché au bitume, il doit compter parmi les œuvres les plus intéressantes, les plus dignes d’études qui décorent les galeries d’Europe.

La Méduse, placée dans la même galerie, mérite aussi d’être étudiée avec soin pour deux raisons : elle appartient à la première manière de Léonard, et rappelle, avec des modifications notables, mais cependant d’une façon assez évidente, le style du Verocchio. Il y a en effet dans ce tableau une précision, et je dirais volontiers une minutie Tout Léonard s’est dégagé à mesure qu’il s’éloignait de son maître. Au défaut de la rondache que nous ne possédons plus, la Méduse, conçue à peu près selon les mêmes données, est un digne sujet de méditation. Je ne sais pas à quel propos ni d’après quels renseignemens les écrivains allemands ont mis en doute l’authenticité de ce morceau ; je ne devine pas davantage pourquoi ils ont indiqué comme signe caractéristique l’empâtement de la couleur et le ton enfumé. À mes yeux, je l’avoue, l’authenticité de ce morceau ne saurait être contestée, car l’exécution fine et délicate, bien que minutieuse peut-être jusqu’à l’excès, s’accorde très bien avec l’ensemble des œuvres de Léonard. Quant au ton enfumé, quant à l’empâtement de la couleur, j’avouerai franchement qu’à moins de récuser le témoignage de mes yeux, je suis forcé de les prendre pour de pures fictions. J’ai vu mainte et mainte fois la Méduse de Léonard dans la galerie des Offices, je l’ai vue sous le jour le plus favorable et le plus éclatant, et jamais l’empâtement de la couleur et le ton enfumé dont parlent MM. Passavant et Rumohr n’ont frappé mes yeux. Pour moi, ce qui me plaît, ce qui m’étonne, ce qui me charme dans cet ouvrage, c’est la précision infinie avec laquelle l’auteur a su rendre jusqu’aux moindres détails. Je reconnais volontiers qu’il a souvent dépassé le but ; mais il y a dans l’excès même du soin avec lequel il a traité tous les détails secondaires tant de savoir et d’amour vrai de l’art, que je pardonne sans hésite, à l’entraînement de son zèle.

La tête de la Méduse est à la fois belle et terrible : regard flamboyant, serpens entrelacés dans la chevelure, lèvres imprégnées de poison, haleine qui souffle la mort, rien ne manque à cette épouvantable Méduse, et pourtant Léonard, avec un art que je ne saurais trop louer à réussi le sentiment de l’épouvante et le sentiment de la beauté. C’est pour la réunion, pour le développement simultané de ces deux sentimens qui ne peuvent se séparer dans l’ame du spectateur, que j’admire la Méduse. Il y a certainement dans la série de ses œuvres plus d’un morceau que je préfère à la Méduse ; mais, dans toute la durée de sa longue carrière. il n’y en, a pas un qui révèle d’une façon plus