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ont visité Venise connaissent et admirent la statue de Collconi, placée devant l’église de Saint-Jean et Saint-Paul, et nous possédons ici même, à Paris, un merveilleux dessin du Verocchio ; première ébauche de ce morceau recommandable à tant de titres. Le cavalier ne fait pas partie du dessin que nous possédons ; mais le cheval est traité avec une précision, une grandeur qui ne laisse rien à désirer. Verocchio, après avoir feuilleté les premières études de Léonard, comprit tout ce qu’il y avait d’avenir dans son jeune élève, et n’hésita pas à le prendre dans sa boutique, car c’était le nom qu’on donnait alors aux ateliers de peinture. À peine lui avait-il donné quelques leçons, qu’il le jugea capable de prendre part à ses travaux, et lui confia l’exécution d’un ange dans un Baptême de Jésus-Christ. L’ange, tout entier de la main de Léonard était, s’il faut en croire Vasari, tellement supérieur au Christ et au saint Jean, que Vérocchio, étourdi, consterné par les louanges prodiguées à cette figure, renonça dès ce jour à la peinture. Ce premier ouvrage de Léonard, le premier du moins dont l’histoire ait gardé le souvenir, doit remonter à l’année 1468. Ainsi Léonard avait seize ans quand il découragea son maître par son habileté. Ce tableau du Verocchio est aujourd’hui à l’académie des beaux-arts de Florence. Sans prêter une foi entière à cette anecdote, nous pouvons du moins en conclure que Léonard ne fit pas attendre long-temps les preuves de son génie.

Nous savons par le Plutarque de la peinture, dont la partialité pour les artistes toscans ne saurait être contestée, mais qui cependant, malgré cette faiblesse bien excusable d’ailleurs, demeure encore aujourd’hui l’une des sources les plus fécondes pour les historiens de l’art italien, qu’il faut rapporter à la première jeunesse de Léonard un ouvrage dont il parle avec enthousiasme, mais dont la trace est malheureusement perdue, et dont le mérite si vanté n’est plus, maintenant qu’un sujet de conjecture. Le père de Léonard avait reçu d’un de ses fermiers une planche de figuier avec prière d’y faire peindre un tableau. Comme ce fermier s’était toujours montré fort habile dans la chasse au piége et au lacet, et que le père de Léonard devait a son adresse plus d’un excellent morceau qui avait fait honneur à sa table, ser Piero invita son fils à donner sur cette planche de figuier une preuve de son savoir. Léonard, qui avait profité dignement des leçons du Verocchio, et qui même, au bout de quelques mois, avait trouvé moyen de le surpasser, se rendit de bonne grace au désir de son père. Il réunit dans sa chambre un choix d’animaux affreux : crapauds, vipères, lézards étranges ; il les groupa de façon à composer un monstre sans nom, et, dans l’ardeur qui le possédait, il oublia jusqu’au soin de sa santé. Les élémens de sa composition, frappés de mort par la captivité qui défendait à l’air de se renouveler tombaient en putréfaction, et Léonard ne s’en apercevait pas. Tout entier à l’étude de son modèle,