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Qu’y a-t-il au fond des écoles du socialisme ? Si on fait abstraction des utopies plus ou moins originales par où elles se distinguent l’une de l’autre, conceptions éphémères de cerveaux malades, chimères discréditées et évanouies, le fond de plus en plus apparent de ces écoles c’est le matérialisme, ou, en d’autres termes, cette révolte de la chair contre l’esprit, du fait contre le droit, qu’un orateur célèbre appelait fort bien le jacobinisme éternel. À côté de cet élément impur du socialisme, nous sommes prêts à en reconnaître un autre, je veux dire, cette impatience du mieux, cette ardeur de progrès et de justice qui agite tant d’ames élevées ; mais il faut bien s’entendre : cette aspiration a-t-elle pour objet le bien-être matériel ou le bien-être moral, c’est-à-dire la justice ? vient-elle d’un cœur plein d’amour pour les hommes ou de l’appétit toujours inassouvi qui ne songe qu’à soi ? s’agit-il de supprimer la misère ou même la douleur et de transformer le monde en un paradis sensuel, ou bien d’élever la dignité morale de l’homme en lui donnant une possession de plus en plus complète des forces de la nature, de sa liberté propre et de sa raison ? Si l’on fait de la réalisation du bonheur matériel, de la suppression de la misère, la fonction propre de notre siècle, je dis que c’est la plus brutale et la plus insensée des chimères, je dis qu’on nous ramène à l’état sauvage. L’homme qui n’a souci que de vivre et de satisfaire ses appétits, ce n’est plus l’homme civilisé : c’est l’homme primitif, l’homme que le souffle puissant de la religion, des arts, de la philosophie, n’a point encore élevé au-dessus des choses de la terre. Pousser la société dans cette voie, c’est la conduire vers cet état de nature dépeint par le rude pinceau de Hobbes, où l’homme est un loup pour l’homme, et où le pouvoir appartient de droit aux enfans robustes. Eprouve-t-on pour ces rêves grossiers le dédain d’un esprit droit et le dégoût d’une ame bien située ? qu’on le dise clairement. On cesse par là même d’être socialiste, au sens où la foule entend ce mot, et dès-lors, dans cet élan généreux vers un idéal de justice parfaite et de dignité humaine de jour en jour accrue, il n’y a rien qui ne soit en complète harmonie avec les inspirations d’une philosophie élevée.

Et maintenant serait-il impossible de s’entendre avec ce grand nombre d’esprits sincères qui voient le salut de la société dans le réveil des croyances du christianisme ? Interrogeons les interprètes de l’école théologique et demandons-leur ce qu’ils ont la prétention de représenter. Ils nous diront qu’au milieu des bouleversemens des idées et des institutions, ils représentent excellemment ce qui manque à notre époque, l’autorité. Eh bien ! soit, nous n’y voulons pas contredire ; mais il y a pour des chrétiens deux manières de comprendre l’autorité. Nous connaissons un christianisme étroit, exclusif, violent haineux, qui nie tous les droits de la raison humaine, qui, avec d’hypocrites