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fondamentaux de la morale et de la religion naturelles[1]. Déjà, il y a quelques années, l’Académie des Sciences morales et politiques était entrée dans cette voie, quand elle mettait au concours le problème de la certitude. Le résultat fut satisfaisant, et il sortit de cette lutte un bon livre, que nous avons déjà signalé, le livre de M. Javary[2].

Le caractère distinctif de ce sérieux écrivain, c’est une qualité qui devient chaque jour plus rare, je veux dire la solidité. L’auteur a pensé au vrai beaucoup plus qu’à sa gloire personnelle ; il a fait effort pour être toujours raisonnable, sans trop s’inquiéter de paraître ni même d’être original. Ce n’est pas que M. Javary manque d’idées, il pense et pense fortement. Sur plus d’un point grave, il a ses vues propres, parmi lesquelles je signalerai une analyse, neuve à beaucoup d’égards des idées de la raison ; mais il a compris qu’en face d’une question comme celle de la certitude ; il n’y avait aucune innovation radicale à essayer : Grace à Dieu, les bases de la certitude ne sont pas à découvrir ; elles ont été posées d’une main sûre par le père de la philosophie moderne. Que le scepticisme change mille fois de forme et de but, qu’il appelle à son secours la passion, la dialectique, l’esprit et même le génie, il aura beau se nommer Pascal, Huet, David Hume, Kant, Lamennais : toujours il viendra se briser contre l’inébranlable rempart de Descartes, contre ce fait si simple : Je pense, donc je suis. C’est pour s’être écarté de la ligne cartésienne, c’est pour avoir arbitrairement séparé la pensée d’avec l’être, le sujet de la connaissance d’avec son objet, que Kant a jeté la philosophie allemande sur la route du scepticisme. Que faut-il donc

  1. Voici les deux programmes très remarquables de l’Académie : 1° Examen critique des principaux systèmes modernes de théodicée. Le caractère des mémoires demandés par l’Académie doit être, sous la forme de la critique et de l’histoire, essentiellement théorique et spéculatif. Les concurrens mettront surtout en relief l’esprit général des différens systèmes, leur méthode, leurs principes, leurs résultats. Ils pourront comprendre dans leur travail les systèmes contemporains les plus célèbres, particulièrement ceux qui sont sortis de la dernière philosophie allemande. Ils les considéreront dans leurs rapports avec l’état présent des connaissances humaines et avec les besoins réels des sociétés modernes. Ils concluront en faisant connaître la doctrine qui leur parait conforme à la vérité. – 2° Examen critique des systèmes qui réduisent les lois de la morale à la satisfaction des passions. On fera connaître les systèmes les plus récens qui placent le bonheur et la perfection de l’homme dans la satisfaction la plus complète de ses désirs, qui considèrent les passions comme la source, comme la mesure de nos droits, comme le seul fondement légitime de toute législation et de tout ordre social. On remontera à l’origine de ces systèmes ; on examinera s’ils appartiennent exclusivement à notre temps, ou s’ils ne sont qu’une imitation, un simple développement de systèmes antérieurs. Enfin on s’appliquera surtout à en discuter la valeur au triple point de vue de la morale, de la politique et de l’économie politique.
  2. Un autre bon résultat du concours de l’Académie, c’est l’écrit distingué de M. Gouraud : Du Calcul des probabilités (1849, chez Durand). Voyez aussi le rapport fait au nom de la section de philosophie par M. Franck, avec une introduction très intéressante (1848, chez Ladrange).