Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/831

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

près de Mme Léeman. Cette dernière, contrariée, dit à sa fille : « Une jeune personne n’a pas besoin de s’appuyer sur un bras, je m’en passe bien ! » M. de La Montette dut faire comme Nicolas ; mais son entretien avec Sara paraissait fort animé et même fort tendre. À la fin de la soirée, M. de La Montette invita les deux dames.à dîner pour le lendemain et comprit Nicolas dans cette invitation. C’était d’un homme bien élevé. Pourtant l’écrivain ressentit au cœur une douleur mortelle ; son rival avait l’avantage de ce moment, car, au dire de Sara elle-même, « M. Nicolas avait été bien maussade toute cette soirée-là ! »

Le lendemain, M. de La Montette fit les honneurs de sa villa avec beaucoup de convenance ; sa conversation marquait de l’esprit, du moins il savait compenser par l’usage du monde ce que Nicolas avait de plus élevé par l’imagination. La journée fut terrible pour ce dernier, partout éclatait la supériorité de l’homme de goût et du propriétaire. Plusieurs autres invités se trouvaient réunis dans la maison, principalement des gens de loi et de finance. Sara était mal à l’aise, parce que sa mère se livrait parfois à des observations qui trahissaient une éducation négligée ; elle sentit le besoin de soutenir presque continuellement la conversation, et le fit avec un certain esprit de liberté et de saillie qui prouvait moins de naïveté qu’elle n’en avait laissé supposer jusque-là. Lorsqu’on se leva. Nicolas s’alla mettre à une fenêtre et pleura à chaudes larmes en disant : « Tout est fini ! » Sara, passant près de lui, le frappa en riant et lui dit : « Que faites-vous là ? vous ne descendez pas au jardin ? » Il ne se retourna pas, n’osant montrer son visage décomposé. Sara s’écria brusquement : « Eh bien ! restez.., vous êtes bien ennuyeux ! »

L’orgueil révolté tarit les pleurs dans les yeux du malheureux. « Il te sied bien, se dit-il, d’aimer encore ! Souviens-toi de celles qui ont été par toi malheureuses et perdues ! » Il se remit et descendit au jardin. Sara cueillait des roses avec une joie enfantine et en formait des bouquets qu’elle distribuait aux dames de la société. M. de La Montette, voyant venir Nicolas, l’emmena dans une allée et lui parla avec une telle affabilité, qu’il semblait n’avoir conçu aucune idée d’une rivalité possible entre eux deux. Ils parlèrent long-temps de la jeune fille ; Nicolas ne put s’empêcher de la louer avec enthousiasme. Toute l’imagination de l’écrivain se déploya dans ce panégyrique ; le cœur y joignait aussi tout le feu dont il brûlait encore. M. de La Montette étonné dit à Nicolas : « Mais vous l’aimez donc ? — Je l’adore ! » répondit celui-ci.

— Pourtant sa mère m’avait dit que vous n’aviez pour cette enfant qu’une amitié toute paternelle… J’aurais pensé plutôt, d’après les qu’un sentiment assez tendre pour Mme Léeman, qui est belle encore…