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La satisfaction de Florimond et l’admiration des deux femmes pour le procédé de Nicolas le payèrent avec usure de son sacrifice.

Le lendemain, Nicolas reçut la visite de Mme Léeman. « J’ai à vous parler, dit-elle, au sujet de ma fille. » Et elle lui raconta qu’elle avait dû la marier à un M. Delarbre, jeune homme qui était venu fréquemment dans la maison, puis.avait cessé tout à coup ses visites. Elle demanda à Nicolas si sa fille lui avait parlé de ces relations antérieure ; innocentes du reste. « . Oui, dit-il, mais comme d’un souvenir entièrement effacé. » La mère répondit que ce parti ne convenait nullement à sa fille ; puis, adoucissant sa voix, elle ajouta qu’une nouvelle proposition lui était faite. Un nommé M. de Vesgon, ancien ami de la famille, offrait d’assurer le sort de cette enfant moyennant une donation de vingt mille livres, et cela par un sentiment tout paternel, résultant de l’amitié que cet homme respectable avait autrefois pour le père de Sara… Toutefois cette dernière avait refusé la proposition, et Mme Léeman, sentant son autorité de mère impuissante à vaincre la prévention de la jeune fille, venait prier Nicolas d’agir à son tour par la persuasion que son esprit supérieur était sûr de produire.

Nicolas ne put retenir un mouvement de surprise. Mme Léeman fit valoir le mauvais état de sa santé. « Si ma pauvre enfant venait à me perdre, qu’arriverait-il ? ajouta la mère J’ai de l’expérience, moi, mon bon monsieur Nicolas ; le temps passe, la beauté s’en va ; Sara se procurerait avec cette somme une petite rente viagère qui, avec le peu que je lui laisserai, pourrait plus tard la faire vivre honorablement… » Nicolas secoua la tête ; la mère le pressa encore en raison de l’attitude qu’il avait pour sa fille, et lui proposa même de le faire dîner avec M. de Vesgon, afin qu’il pût s’assurer de la pureté des intentions de ce vieillard.

Nicolas se sentit blessé au cœur et ne put dormir de la nuit. Le lendemain matin, Sara monta chez lui comme à l’ordinaire. Il aborda franchement la question des vingt-mille francs, et demanda à la jeune fille si elle croyait pouvoir les accepter sans compromettre sa réputation. Sara baissa les yeux, rougit beaucoup, s’assit sur les genoux de Nicolas et se mit à pleurer. Nicolas la pressa de répondre. – Ah ! si j’osais parler, s’écria-t-elle entre deux soupirs.

— Confie-moi tes peines, ma charmante enfant.

— Si vous saviez combien je suis malheureuse !

— Malheureuse ! Pourquoi et depuis quand ?

— Je l’ai toujours été… J’ai une mère…

— Je la connais.

Sara paraissait faire un violent effort pour parler.

— Ma mère, dit-elle enfin, a fait mourir ma sœur de chagrin. Moi, dans ce temps-là, je n’étais qu’une enfant folle, étourdie et riant toujours…