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partie de la vérité. Ce dernier ne ménagea plus rien et courut chez la marchande de modes. « Venez donc, lui dit cette femme, je sais bien qui vous êtes… Montez près d’elle : c’est vous qu’elle demande à grands cris. »

Zéfire était accablée et souffrante, mais calme ; elle affecta de paraître seulement fatiguée des émotions de la veille, elle dit à Nicolas qu’il devait se rendre à son imprimerie et la laisser reposer, puis elle l’embrassa deux fois en lui disant : « À ce soir. » Tous les ouvriers s’étonnèrent de la pâleur de Nicolas. À huit heures, Loiseau lui dit : « Mangeons un morceau, puis j’irai prendre Zoé pour aller voir Zéfire. Tu ne te montreras pas tout d’abord, afin de ne pas l’agiter ; ta pâleur lui donnerait de l’inquiétude. » Il ne se montra pas en effet, mais il l’entendit parler de la chambre voisine. Loiseau lui dit « Va te reposer, elle est mieux : c’est toi qui m’inquiètes… »

Nicolas, en s’éveillant, fut étonné de ne pas trouver son ami ; le fruitier lui dit qu’il avait passé la nuit dehors. Il courut à l’imprimerie. Loiseau travaillait à sa casse : « Et Zéfire ? — Zoé et moi, nous avons passé la nuit près d’elle. — Oh Dieu ! sans moi ! — Ta vue aurait redoublé sa fièvre. — Comment va-t-elle ? — Beaucoup mieux. » Loiseau rougissait en disant ces dernières paroles. Il essaya d’amuser l’inquiétude de Nicolas en lui parlant d’un travail pressé ; mais, après quelques hésitations, ce dernier prit son habit et courut au magasin. Loiseau le suivit et arriva sur ses pas. — Zéfire étouffait, cependant elle prit la main de son amant, essaya de sourire, et dit : « Ce n’est rien. » Celui-ci ne voulut plus la quitter. Le soir, pendant que Zoé se reposait sur un canapé, Zéfire fit signe à Nicolas qu’elle voulait avoir la tête posée sur sa poitrine, qu’elle respirerait mieux… Il s’étendit en arrière sur sa chaise à moitié penché sur le lit, et soutenant au bord cette tête blonde, si fraîche encore l’avant-veille. Au bout de deux heures de cette position fatigante, un grand soupir réveilla Zoé. « Allez vous reposer à votre tour, » dit-elle à Nicolas. Et, relevant la tête de Zéfire, elle la posa sur l’oreiller. Zéfire avait rendu le dernier souffle. Nicolas, trompé par ses amis sur la gravité du mal, ne l’apprit que le lendemain. « Et moi je vais mourir aussi ! » dit-il avec calme. Il était selon son expression même, consolé par le désespoir.

Cependant il ne fit qu’une grave maladie, mêlée de délire et de léthargie ; les premiers mots qu’il prononça furent : « J’ai donc achevé de perdre Mme parangon. » C’est que les traits de Zéfire lui avaient rappelé ceux de cette femme adorée, comme elle-même lui avait semblé voir quelque ressemblance avec Jeannette Rousseau, son premier amour.

Cette théorie des ressemblances est une des idées favorites de Restif, qui a construit plusieurs de ses romans sur des suppositions analogues.