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— Eh bien ! moi, je l’épouserai, dit Nicolas, si elle veut ne plus mettre les pieds chez vous et apprendre à travailler.

La Perci se jeta à son cou : — Dis-tu vrai, mon garçon ? Tiens, tu me fais pleurer, et j’en avais perdu l’habitude… Écoute bien : ne crois pas que ma fille n’aura point une dot… et de bon argent bien gagné encore. J’ai été revendeuse, j’ai prêté à intérêt : c’est honnête, cela !

— Ne parlons pas de ces choses, dit Nicolas ; je me sens fort maintenant, et je gagne beaucoup quand je travaille… Ainsi vous consentez à ce que votre fille ne rentre plus ici ? Vous êtes une bonne femme au fond.

— Mon Dieu ! dit Loiseau, se peut-il qu’il y ait de la vertu même dans de telles ames… Je l’ignorais ; cependant j’aurais mieux aimé ne pas le savoir.

Loiseau avait raison, il vaut mieux, dans l’intérêt des mœurs, supposer que le vice déprave entièrement ses victimes, sauf la chance de l’expiation et du repentir, que de s’exposer au choix difficile qui résulte d’un mélange douteux de bien et de mal. C’était le raisonnement d’un homme vulgaire, mais sage. Nicolas n’était ni l’un ni l’autre malheureusement.

Zéfire accepta avec transport la proposition de vivre pour l’homme qu’elle préférait. L’amour seul assurait Nicolas de sa vertu. Il fallut encore que le bon Loiseau fît son éducation morale et lui donnât des leçons de décence et de pudeur. On lui fit lire de bons livres, à elle qui n’avait lu encore que des romans de Crébillon fils ou de Voisenon. On lui apprit à tenir un autre langage que celui qu’elle avait entendu tenir jusque-là, et ce fut seulement lorsqu’on n’eut plus rien à craindre de ses manières délibérées ou de son caquet imprévoyant qu’on lui chercha une profession. La prétendue de Loiseau, qui se nommait Mlle Zoé, avait aidé beaucoup les deux amis dans l’éducation préliminaire de Zéfire. Elle la proposa pour demoiselle de boutique à une marchande de modes qui demeurait au coin de la rue des Grands Augustins. Ses vêtemens de grisette, sa coiffure sans poudre et son bonnet à tulle plat la changeaient tellement qu’il eût été impossible de la reconnaître. La mère, avertie par Nicolas, approuva tous ces arrangemens, et s’engagea à ne jamais rendre visite à sa fille tant qu’elle serait en apprentissage.

Nicolas ne pouvait voir Zéfire que le dimanche ; Mlle Zoé allait la chercher ce jour-là, et l’on faisait des promenades hors barrière avec Loiseau. Nicolas ; toujours impatient ne pouvait s’empêcher de passer chaque soir devant la boutique ; il regardait aux vitres, et était considéré comme le galant assidu de quelqu’une des jeunes filles, sans qu’on put savoir de laquelle. Les boutiquières de Paris ne s’étonnent jamais de ces amours à distance, qui sont des plus fréquens. Un dimanche, Nicolas