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tantôt priant Walter Scott et d’autres de lui indiquer des poèmes à traduire des ouvrages à composer. La lutte fut si rude, qu’elle fit de lui un vieillard avant l’âge, et que bien souvent elle le réduisit à des états de défaillance pendant lesquels un repos absolu devenait une nécessité pour sa santé. C’est un curieux phénomène psychologique que ce mal d’impuissance ; il est si commun et si peu connu, qu’il y a un puissant intérêt à l’étudier partout où il se montre, et surtout chez un homme qui en fut affecté aussi gravement que Campbell. Si l’auteur de Gertrude eût été une de ces natures complexes au sein desquelles s’agitent des amas d’impressions qui cherchent à se tirer au clair, sa difficulté à produire n’eût rien eu d’extraordinaire. Quand un homme a eu un commerce plus intime que d’autres avec les choses et n’a pas trouvé en elles ce qu’on lui avait appris à y voir ; quand il a beau manier et remanier tous les élémens qu’on lui a définis comme entrant dans leur composition, et quand, de quelque manière qu’il les combine, il ne parvient pas à composer des images qui soient conformes à ce que les choses ont été pour lui, aux propriétés qu’elles ont manifestées à son égard, aux effets qu’elles ont eu la puissance de produire sur lui-même, il faut bien qu’il se fasse en lui une création. Avant qu’il puisse parler, il faut que le chaos des forces indéfinies se coordonne, et que chacune d’elles trouve une forme qui puisse l’exprimer sans nier les autres : or les créations ne s’accomplissent pas en un jour, c’est la loi de tous les mondes ; mais chez Campbell il ne se passait rien de pareil : il avait des mots tout faits pour (lire ce qu’il avait à dire ; la difficulté pour lui était-simplement celle (le mettre en œuvre des élémens déjà définis, déjà formulés. D’où venait donc son impuissance ?

Évidemment les embarras pécuniaires et les inquiétudes plus ou moins préparées par son manque de prudence contribuèrent grandement à fatiguer son esprit. Je crois aussi qu’une faiblesse physique de constitution fut pour beaucoup dans ses lassitudes ; il était nerveux, prompt à monter et prompt à retomber. Il y avait plus en lui du Celte que de l’Anglo-Saxon, et, par suite sans doute de ce tempérament capricieux, l’inspiration ne lui était mesurée qu’avec parcimonie ; il entendait passer un son dans l’espace, mais à peine avait-il prêté l’oreille que le son s’était déjà éteint, et alors il fallait recourir au travail, au propos délibéré qui fatigue tant, parce que le plus rude effort ne peut pas donner le don de revoir en esprit l’ensemble de l’œuvre qu’on a entrevue. Était-ce là tout cependant ? Je ne le pense pas. Campbell avait une appréhension maladive de l’opinion d’autrui ; il ne s’était pas retourné, comme le Teufelsdrockh de Carlyle, pour faire bravement face aux frayeurs et aux monstres qui le traquaient dans la rue d’Enfer ; il n’avait pas frappé du pied en s’écriant : « Après tout, ils ne peuvent