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public son Essai sur le beau, et la théorie dans laquelle il glorifiait le vague et l’indéfini n’était, après tout, qu’une certaine façon rudimentaire de demander que la poésie exprimât des émotions et non des idées, car le propre des impressions est de renfermer l’infini et de se lier sympathiquement à tout ce que nous avons senti, comme le propre des idées est d’être le défini, le circonscrit. D’un autre côté encore, Cowper avait conçu et fait aimer un style déjà assez nouveau de poésie, un de ces styles de transition comme il ne s’en produit qu’en Angleterre. Chez lui, il y avait eu une tentative naturelle, non pour rompre avec le passé, mais pour adapter les vieilles formes à ses propres besoins. Profondément sérieux, il avait cherché à parler en homme, à dire nettement ce qu’il voulait dire, et, sans s’en douter, il avait grandement changé la diction poétique. Enfin Burns était venu, et les Ballades lyriques de Wordsworth faisaient leur apparition, un an avant la publication des Plaisirs de l’Espérance.

Comme on en peut juger, c’était à un moment de transformation que Campbell était descendu dans l’arène. Il y fit un éclatant début. Je n’irai pas jusqu’à dire que nulle œuvre ne produisit jamais autant de sensation que son poème ; mais je n’ai certainement souvenir d’aucune œuvre qui, du premier coup, ait porté aussi haut un inconnu. Les exemplaires des Plaisirs de l’Espérance furent littéralement enlevés. Plusieurs éditions se succédèrent en une seule année. En 1803, le livre avait déjà été réimprimé sept fois. Pour en obtenir la propriété, un libraire de Londres en offrit à l’auteur une rente viagère de 200 livres (5,000 fr.). Rien de plus éloquent que ces chiffres. Malheureusement Campbell avait vendu ses droits d’auteur, et, sans la générosité de son éditeur, il n’eût pas tiré grand profit de sa popularité ; mais M. Mundell fut généreux. Pour chaque édition nouvelle, il offrit au poète un remerciement de 50 livres (1250 fr.) et plus tard il lui abandonna le droit de publier deux fois son œuvre par souscription[1]. Le droit, dans ce cas, avait son prix, car la seconde fois il rapporta au-delà de 1,000 guinées à Campbell. La souscription avait presque été un événement national. Pitt y avait mis son nom ; le gros des sommités politiques, littéraires et aristocratiques avait fait comme lui. Lady Campbell s’était chargée de soulever son clan en faveur du poète, et en Angleterre comme en Écosse c’étaient des hommes haut placés qui avaient pris la chose en main.

Je n’ai encore indiqué qu’un côté du succès de Campbell. Un jour que le docteur Gregory, fort célèbre à Édimbourg, était entré chez le libraire Mundell, il trouva sous sa main un exemplaire du poème, et il l’ouvrit sans trop penser à ce qu’il faisait. « Parlez-moi de

  1. La propriété des Plaisirs de l’Espérance finit par revenir à Campbell.