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à leur fenêtre : elles aperçurent Campbell, qui était un beau jeune homme. Naturellement le visiteur fut questionné sur son compagnon : il parla de la position précaire de Campbell et de ses talens ; il montra au docteur une de ses pièces de vers qu’il avait sur lui. La pièce de vers séduisit Anderson. Il témoigna le désir que le jeune poète lui fût présenté, et Campbell, amené chez lui, eut bientôt achevé sa conquête. À partir de ce jour, on peut dire que sa destinée fut arrêtée dans le grand livre du ciel. Peu de temps après, il était en rapport avec le libraire Mundell, pour le compte duquel il entreprenait un abrégé de l’ouvrage de Bryan Edwards sur les Indes occidentales, au prix de vingt livres (500 francs). C’était le docteur qui l’avait abouché avec son éditeur. Anderson ne s’en tint pas là ; patron zélé de la littérature et centre d’un cercle d’écrivains, il introduisit son jeune protégé dans le monde lettré d’Édimbourg.

Le vent était alors à la poésie, où, pour parler plus juste, il y avait partout un sourd travail intellectuel. Moitié capitale, moitié ville du province, la métropole de l’Écosse avait d’ailleurs beaucoup plus gardé que Londres les goûts du XVIIIe siècle, ou du moins les causeries de salon y avaient conservé, ce me semble, plus d’importance. L’heure n’avait pas encore sonné pour les coteries avec leurs prétentions, pour les petits hôtels Rambouillet avec toute la vie factice et tous les échanges de mensonges qui y fleurissent. On se faisait une réputation avec des vers en manuscrit ; on consultait les juges éclairés sur ses épîtres et ses poèmes. Sans doute on admirait souvent pour se persuader à soi-même qu’on avait bon goût, et on louait souvent parce que cela était de bon ton. On eût trouvé fort brutal un homme qui se fût fait un devoir de blâmer tout haut ce qu’il blâmait tout bas, et de décourager des prétentions qui, dans sa pensée, ne pouvaient servir qu’à faire une victime. Au milieu de toutes ces bonnes intentions si fâcheusement employées, Campbell ne pouvait guère trouver qu’un aliment à son idée fixe. Heureusement pour lui les encouragemens qu’il reçut devaient le conduire au succès et non aux tourmens d’une ambition impuissante. Tout en donnant des leçons pour vivre, il acheva son poème des Plaisirs de l’Espérance. Chaque jour, il se promenait, récitant presque à haute voix ses vers ; on le regardait passer ; ou bien il allait, sur une hauteur voisine d’Édimbourg, s’entretenir avec sa muse et recevoir le vent à la face. Trois mois avant que son œuvre parût, ses amis ne le désignaient que sous le nom de chantre de l’espérance. Son manuscrit avait passé de mains en mains il avait été discuté et longuement corrigé d’après les conseils des amis éclairés. Anderson était fier de son protégé ; il croyait sincèrement au génie de Campbell, et il prédisait un succès éclatant. Le poème enfin terminé, le docteur le fit accepter par Mundell, qui acheta la propriété de l’œuvre au prix de 50 livres (1,250 francs).