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Franzoni a donné aux anciens ministres de Charles-Albert de graves sujets de plaintes, et, pour avoir été ignorées, les luttes que le pouvoir royal eut à soutenir autrefois contre lui n’en furent pas moins vives. De loin, nous le savons, et quand ces précédens sont ignorés, il est aisé de prendre le change. M. l’archevêque de Turin est aujourd’hui un confesseur, et, des quatre coins de la chrétienté, il reçoit des palmes. Comment en serait-il autrement ? Ce qui est certain toutefois, c’est que le retentissement de ses malheurs n’est pas, à beaucoup près, aussi grand dans son diocèse qu’à Paris.

Au moment même où ces faits s’accomplissaient, le comte Ludovico Sauli, nommé plénipotentiaire à Rome pour arranger les différends avec le saint siége, se disposait à partir ; sa mission est aujourd’hui sans but. Il faut attendre désormais ce qui viendra de Rome. D’avance on peut conjecturer dans le sens le plus défavorable, car la dernière note du cardinal Antonelli marquait, par sa rédaction acerbe, un parti pris et une résolution arrêtée que les nouvelles de Turin ne seront assurément pas propres à fléchir.


LETTRES ET OPUSCULES INÉDITS DE FENELON, 1 vol. in-8o[1]. – Venu aux derniers jours de la grande et religieuse monarchie de Louis XIV et de Bossuet, quelques années avant la régence et les philosophes du XVIIIe siècle, évêque pieux et homme d’imagination, gentilhomme devenu prince de l’église et généreux penseur, Fénelon montra dans sa personne, dans ses idées, dans ses écrits quelque chose qui témoigne à la fois de l’époque de transition dans laquelle il vivait, de sa position sociale et de sa nature propre d’esprit. Ses contemporains nous ont fait connaître ses grandes et simples manières, son abord doux et fier, son humilité non exempte d’ambition. Ses œuvres nous révèlent le reste. Il y a là un mélange singulier de sagesse réglée et d’innovation audacieuse, de recherche érudite des traditions surannées et d’amour vague des changemens,.d’inquiétude d’ame et de soumission sans réserve, qui surprend tout d’abord. Cette liberté de tours et cette mollesse fleurie qui caractérisent le langage de Fénelon, rapprochées du dédain hautement professé dans la solennité un peu contrainte et l’austérité des vieilles formes d’éloquence, sont déjà l’indice d’une révolution littéraire ; on pressent un nouveau monde dans les rêves rétrospectifs du Télémaque et des Plans de gouvernement ; nos chimères passées et présentes couvent dans le cerveau de réformateur, qui se défend mal contre l’illusion, mère des mensonges, et il n’est pas jusqu’à nos rébellions intellectuelles qui ne murmurent un instant dans le cœur du vertueux évêque, mais pour être aussitôt étouffées dans un silence éternel.

Les Opuscules qu’on vient de publier ajoutent de nouvelles preuves à celles que nous possédons déjà sur cette tendance novatrice et aventureuse de l’esprit de Fénelon. Il y a dans la correspondance inédite de l’archevêque de Cambrai une série d’épîtres adressées au chevalier Destouches, qui joignent à la grace accoutumée je ne sais quoi de particulièrement vif et ingénieux, d’originalement aisé et hardi. Le chevalier Destouches est un officier lettré et gourmand, que Fénelon veut convertir à la sobriété. Or, dans la joute savamment ingénieuse engagée alors entre le prélat et le voluptueux convive (et ce n’en est pas le trait

  1. Adrien Leclère, rue Cassette, 29.