Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/751

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ont été souvent et sont encore trop considérés comme indignes d’esprits élevés, et que ceux qui s’y consacrent croient devoir parler au peuple un langage vulgaire et grossier. Voilà l’heure pourtant où peut éclore avec fruit cette littérature populaire telle que je l’imagine, et qui sait ? d’un mouvement de ce genre pourquoi ne sortirait-il pas un Paul Courier de la morale, du bon sens et de toutes les vérités humaines ? Sans exagérer l’influence de l’Académie, son intervention néanmoins ne pourrait qu’être heureuse, on peut le dire ; elle pourrait beaucoup par ses excitations et en même temps par une sévérité plus réelle dans ses choix, en ôtant aux récompenses qu’elle décerne ce vernis d’arrangement intime entre confrères qu’elles portent trop souvent.

La distribution des prix de vertu, est, on le sait, un des épisodes de la séance annuelle de l’Académie ; elle complète la série de ces couronnemens, et ajoute la glorification du bien pratique aux honneurs décernés à l’intelligence. M. de Salvandy a eu plusieurs fois la bonne fortune d’être chargé, comme directeur, de rendre compte de ces sortes de récompenses, et il l’a fait cette année avec le même mélange d’élévation et d’esprit ; il a eu des mots heureux pour caractériser ce précieux devoir imposé à l’Académie, de chercher les filons de la vertu comme ailleurs on cherche ceux de l’or. M. de Salvandy a effleuré bien des choses dans son discours, sans omettre même la politique, que personne ne peut oublier, à ce qu’il semble ; il a abordé surtout un point délicat qui touche à la morale de notre temps, c’est le principe même de ces prix de vertu dont M. de Monthyon est le fondateur, et qui font vivre son nom. L’honnête et généreux Monthyon agissait assurément dans des intentions excellentes, dans des vues droites et pures ; mais y songeait-il bien ? En prétendant honorer la vertu, il la rabaissait ; il en méconnaissait l’essence, les mobiles, l’aliment et le but. Il oubliait que la vertu qui se publie n’est point de la vertu, que l’abnégation qui s’affiche n’est point de l’abnégation, que le dévouement dont on calcule le prix n’est point du dévouement. Nourri des idées du XVIIIe siècle ; il les appliquait dans sa bienfaisance, et, voyant défaillir le principe religieux d’où la vertu découle et où elle trouve sa mystérieuse satisfaction, il pensait y suppléer par des ressorts, par des aiguillons purement humains : la perspective de la récompense et de la publicité..« Il en résulte, dit spirituellement M. de Salvandy, que l’administration a maintenant les dossiers de la vertu comme de tout le reste. » Et si cette idée portait tous ses fruits, qu’en résulterait-il encore ? C’est que vous verriez s’organiser la compétition universelle et l’enchère de la vertu. Chacun dresserait ses états de services ; il y aurait probablement les candidats au choix et à l’ancienneté ; puis viendraient les spéculateurs de vertu, comme il y en a déjà de patriotisme. Il ne manquerait qu’une petite chose dans tout cela ce serait la vertu elle-même.

Il n’en est point tout-à-fait ainsi heureusement. Les candidats, selon l’expression du directeur de l’Académie, n’en sont point venus encore à se présenter eux-mêmes. De l’idée de M. de Monthyon, il n’est resté qu’une intention généreuse et les moyens offerts à l’Académie d’aller chercher dans les profondeurs de la vie populaire quelques souffrances patiemment supportées, quelques fidélités inviolables au malheur, quelques dévouemens volontaires, pour leur venir en aide et leur donner un prix inattendu. Quels sont les lauréats couronnés