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a ses habitués tout s’arrange, il semble, en famille et le mieux du monde. Cela fait plaisir à ceux qui donnent, cela fait plaisir à ceux qui reçoivent, et le public élégant, accouru un jour pour voir les immortels aux palmes vertes, et un peu aussi pour se voir lui-même, pour se retrouver et se sentir vivre, applaudit de confiance, sauf à ne point emporter le plus léger désir de lire les ouvrages qui lui ont été signalés. Ce qui manque véritablement à l’académie pour rendre son influence féconde et attacher une signification plus élevée à ses récompenses, c’est cette initiative dont je parlais, appliquée à la défense des lettres menacées aujourd’hui dans leur principe, dans leur dignité, dans toutes leurs conditions d’existence ; c’est une certaine puissance d’action collective se manifestant par une haute impulsion donnée aux esprits, par une vigilance sévère dans le maniement des intérêts de l’intelligence. Et cela ne suffit-il pas à expliquer cette espèce de froideur polie qui règne parfois à l’Institut, — qui régnait singulièrement dans la dernière séance ? C’était un monde brillant, gracieux, à demi illustre ; — ce qui reste du moins de ce monde aujourd’hui, — qui essayait de s’intéresser, qui avait des difficultés d’applaudir, comme on disait de je ne sais plus quel personnage qu’il avait des difficultés de vivre, — et qui faisait tout haut la réflexion que l’Académie couronnait bien des femmes et bien des professeurs, pour le plus grand honneur des lettres contemporaines !

L’Académie, en effet, ne nous conviait pas, ce jour-là, à quelqu’une de ces réceptions éclatantes, vraies fêtes de la pensée, où on lutte d’éloquence, d’esprit, de savoir, quelquefois même de verve épigrammatique, comme cela s’est vu dans plus d’une solennité transformée en champ clos. Tout était à la paix cette fois, et l’ombre de M. de Monthyon planait sur l’Institut. C’était la fête des lauréats, la séance annuelle où l’Académie couronne d’habitude tout ce qu’elle a pu rencontrer d’éloquence ou de vertu de bonne volonté : morceaux oratoires ouvrages utile aux mœurs ou réputés tels ; actes de probité et de dévouement accomplis dans l’obscurité de la vie populaire, chaque chose a sa récompense. Il s’y joignait cette année un intérêt de plus : celui du prix de poésie dramatique décerné à Émile Augier, l’auteur de Gabrielle, et à M. Joseph Autran ; l’auteur de la Fille d’Eschyle, qu’on connaît moins. J’omets à dessein, pour ne le point confondre avec les couronnes académiques ordinaires, le prix maintenu à M. Augustin Thierry comme à l’auteur du meilleur ouvrage sur l’histoire de France. C’est là ce qu’on a appelé le majorat de la pensée ; et qui pourrait plus légitimement y prétendre que l’illustre écrivain qui poursuit encore dans la cécité la série de ses travaux sur le tiers-état ? S’il manque aux séances académiques quelque chose de cet intérêt puissant qui s’attacherait naturellement à une intervention directe et décisive dans les affaires de l’intelligence, il est du moins un attrait qu’on est toujours assuré d’y rencontrer : c’est celui de la parole de M. Villemain, de cette parole dont quinze ans de vie parlementaire n’ont émoussé ni le relief ni la grace ; il semble au contraire que cette pratique des choses n’ait fait que la rendre plus substantielle, sans lui rien ôter de sa pureté élégante. M. Villemain est un de ces esprits rares parmi nous rares même à l’Académie restés inviolablement fidèles à certaines habitudes de penser et de s’exprimer qui menacent chaque