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nous. — Change tes désirs plutôt que l’ordre du monde ; respecte les lois sociales et les coutumes établies, car, dans les choses en dehors de nous, la tradition est souveraine.

La pensée naît quand elle peut, elle s’agrège aux autres pensées comme elle peut, et non toujours d’une manière régulière. C’est là un point de haute psychologie qu’il nous suffit d’avoir touché en passant, pour montrer comment il était possible de réunir en soi les pensées les plus contraires. Ce n’est pas une excuse que nous avons voulu donner, c’est une explication. Émerson, disons-nous, est à la fois sceptique et mystique. Malheur à celui qui, de notre temps, n’est pas à la fois l’un et l’autre ! Bien compris, le scepticisme n’est pas l’incertitude l’hésitation entre toutes les vérités ; ce n’est pas un mal de l’ame, c’est une arme de l’esprit. Le scepticisme est utile surtout a notre époque, car si, dans tous les temps, le rôle de dupe est un rôle misérable, il est plus misérable encore aujourd’hui. Estimons donc le scepticisme, cette défiance philosophique qui peut nous préserver de bien des erreurs et de bien des crimes. Je vais plus loin, et je dis que plus on est croyant et plus le scepticisme est nécessaire pour protéger et couvrir notre croyance. L’ame, aujourd’hui, est assaillie par mille et une suppliques, prières de mendians intellectuels, menaces, lettres anonymes, visites de fâcheux ridicules et d’oisifs importuns. Si nous devions leur répondre à tous, faire l’aumône de notre intelligence aux premières pauvretés venues, jaser et discuter avec tous les systèmes importuns, qu’arriverait-il de notre caractère et de notre vie ? Il est bon alors d’avoir le scepticisme, non pour hôte habituel, non pour ami intime, mais pour serviteur prêt à chaque instant à refuser ou à accorder l’entrée de notre ame. À quoi bon jeter cette ame dans la mêlée et dans le combat des systèmes ? À quoi bon lui faire mener la vie révolutionnaire, pour ainsi dire, ou la vie mondaine ? Notre intelligence, fortement armée de scepticisme, suffit à remplir cet office. Dans la vie extérieure, dans les assemblées, dans les foules, excepté à de certains momens rares et solennels, contentons-nous d’animer notre esprit avec nous. Ce qui s’appelle esprit de conduite dans la vie pratique peut s’appeler scepticisme dans la vie intellectuelle. C’est un moyen de défense et même une arme agressive pour prévenir l’attaque et nous empêcher d’être entamés. En un mot, le scepticisme est un moyen de nous défendre des folles croyances d’autrui et de leur contagieux fanatisme.

À son tour, le mysticisme est nécessaire pour nous délivrer du scepticisme, non du scepticisme tel que nous venons de le décrire, mais de ce que l’appellerai le scepticisme de découragement. Dans quel temps a-t-il existé plus que dans le nôtre ? Les partis entrent en lutte et s’écrasent, et l’homme de guerre, se disant que sans doute la vérité c’est