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d’emprunt que l’on peut alors rembourser les billets. Or les règles, en cette matière plus qu’en tout autre, sont faites non pour les temps ordinaires, mais pour les époques de crise. Non-seulement une banque de circulation doit avoir un capital considérable, mais la plus grande partie de ce capital doit être convertie en numéraire, rester constamment disponible, servir de levier et de point d’appui dans la direction du crédit.

En résumé, c’est une faute d’abroger le cours forcé des billets avant d’avoir restitué à - a Banque de France les sommes dont l’état reste débiteur envers elle, et sans l’obliger à se constituer un capital nouveau ; mais la mesure a un autre côté faible : je veux parler de la précipitation avec laquelle elle a été conçue et proposée. En Angleterre, quand on voulut faire cesser la suspension des paiemens en espèces, on saisit long-temps à l’avance le parlement d’une question à laquelle tenait le sort de toutes les fortunes. La loi fut rendue en 1819, pour devenir exécutoire en 1823. Ici au contraire, c’est à la fin d’une laborieuse session, lorsque les membres de l’assemblée sont en partie dispersés, au moment où les esprits fatigués se refusent à la discussion et à la lutte, que l’on propose de changer radicalement le régime de la Banque de France. Il faudra passer en une heure, sans transition, sans préparation et presque sans examen, du cours forcé à la liberté illimitée de la circulation. Un acte réparateur se présente ainsi avec le caractère apparent d’un acte révolutionnaire !

Ne fût-ce qu’à titre de transition, en abrogeant le cours forcé, il eût été sage de laisser subsister le cours légal. Ne pouvait-on pas se borner à déclarer les billets de la Banque remboursables, et fallait-il donc aller jusqu’à dire qu’ils ne seraient plus reçus comme monnaie ? La Banque a maintenant vingt-cinq comptoirs, par lesquels elle occupe et dessert tous les centres commerciaux de quelque importance. Elle offre ainsi les plus grandes facilités à l’échange des billets contre des espèces, ce qui fait qu’il n’y a pas de raison de rompre avec les habitudes qui ont placé ces billets depuis deux ans sur le même rang que les espèces dans la circulation.

Il peut être permis de rechercher pour quelles raisons, dans une mesure de cette gravité, le gouvernement a cru devoir négliger les précautions et les tempéramens qui semblent au premier coup d’œil indispensables. Assurément M. le ministre des finances n’a pas pensé qu’un aussi grand changement s’accomplît sans tiraillemens ni malaise. Ce n’est pas ici un changement de décoration qui s’opère à vue sur la scène politique, sans que l’on ait besoin d’abaisser le rideau. Il faut du temps à la Banque pour passer de la dictature au rôle de ministre officieux de la circulation ; il faut du temps au commerce pour modifier les combinaisons qu’il avait faites en prenant pour point de