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à des prix très réduits ; mais, aussitôt le marché conclu, ils glissaient dans la balance destinée à peser la poudre d’or apportée en paiement des poids qui, selon la moralité du vendeur, doublaient où triplaient le prix d’achat. Le sauvage paie, et part enchanté de la bonne affaire qu’il vient de terminer.

Le nombre des cagnades ou exploitations augmente journellement l’émigration, bien loin de se ralentir, prend chaque mois des proportions nouvelles ; mais, si grande que soit déjà la population des mineurs, il y a place encore pour des milliers d’aventuriers. Quel ravin ne contient pas de l’or en plus ou moins grande quantité ? quelle rivière, quel ruisseau n’en charrie pas, mêlé au sable et au gravier de son lit ? et l’on sait quelles sont l’activité infatigable et l’avidité sans pareille de la race anglo-américaine ! Chaque jouer, les courses que j’entreprends dans les montagnes qui séparent Stockton de Sonora et de Murphy me font découvrir des tentes là où la veille il n’y avait que des sapins et des rochers. Tout ce que les États-Unis, et non-seulement les États-Unis, mais encore le Mexique, le Pérou, le Chili, la Colombie, le Canada, renferment d’esprits aventureux, d’individualités déclassées, de bandits, tous ces hommes qui ont eu par-ci par-là des démêlés avec la justice, et qui ne savent à quoi employer une existence surveillée de trop près, vont demander la fortune ou tout au moins la liberté à la Californie. Un assez long-temps se passera avant que l’action des lois régularise ce mouvement et assure la sécurité aux travailleurs. Qu’importe aux États-Unis ? Ils ont mis un droit sur la sortie de l’or ; le fisc américain est satisfait, le reste l’inquiète peu. Le gouvernement de l’Union attend que le temps fasse son œuvre, et ne se charge pas de civiliser les flibustiers des placers. Il les laisse jouer et boire. Il sait qu’un jour viendra où les chercheurs d’or auront assez fouillé les ravins, et où les moissons couvriront le territoire des placers. Alors à cette population d’aventuriers succédera une population de laboureurs pareille à cette vigoureuse race qui a jeté les premières et fortes bases de la république américaine.


ALEXANDRE ACHARD.

Murphy, 1er juin 1850.